[Narration : Minoru]
Il faisait chaud et lourd. Si lourd que je transpirais comme si j'avais couru un marathon. L'anxiété me dévorait, mes mains étaient moites. J'étouffais autant dans ma chambre qu'à l'extérieur. J'allais le faire, j'allais le faire. Je devais le faire.
Ma mère toqua à la porte « Minoru ? Tu es là ? Le dîner est prêt. » Elle patienta. Je restai immobile, silencieux. Je jurai mentalement. Pas de bonjour en revenant à la maison, pas de bruit, pas de chaussures dans l'entrée. Elle continua de frapper à la porte. J'avais tout vérifié, rien n'avait pu m'échapper à moins que ma mère ait deviné que quelque chose clochait. Elle n'entrait jamais dans ma piaule, elle avait bien trop peur de ce qu'elle pourrait y trouver. Mais savait-on jamais. Elle pouvait tout à coup décider de faire coulisser la porte et me trouver là, comme un idiot à faire semblant de feuilleter un magazine. Au bout d'un moment, elle se posta sur le palier, attendit encore et finalement descendit les marches. Elle devait penser que j'étais sorti courir. Après quelques minutes, j'entendis le bruit de la serrure : elle partait à son second boulot.
Les yakuzas m'avaient contacté. Ils étaient satisfaits du travail de Ryôta qui ne voulait plus rien faire pour eux. Ils me proposaient de prendre sa place, ignorant qu'il avait fait tout le boulot et que je n'avais pas participé à la revente des stup'. J'hésitais encore. J'avais besoin d'argent.
C'était moi qui aurais dû piquer le blé dans le coffre du comptable ! Peut-être que j'aurais dû accepter, finalement ! Ces enfoirés de Miike et Eisei avaient dû s'en mettre plein les poches !
Pour m'aider à me décider, avaient dit les yakuzas, ils me confiaient une dose avec une seringue stérilisée et sous plastique. C'était gratuit. C'était si je voulais, si j'étais prêt. Si je voulais faire quelque chose de ma vie, progresser. Me servir de ça pour tremplin, pour aller plus loin, atteindre mes objectifs.
Mais on ne vend pas un produit qu'on ne connait pas.
Dans l'incertitude, je me mis à ronger mes ongles. Je dégoulinais. Comme s'ils me brûlaient, je repoussai mes cheveux en arrière et retirai mon t-shirt et mes chaussettes. Je m'assis sur le bord du lit, posai les coudes sur mes genoux et laissai retomber ma tête entre mes épaules.
J'eus l'impression que la pièce se rétrécissait sur moi. Je n'en pouvais plus de penser sans arrêt à Lucie. Son image me rongeait l'esprit. Le congé d'août s'achèverait bientôt. Bientôt, je la reverrai de nouveau presque tous les jours. Cette idée faisait couler en moi de la lave, du cerveau jusqu'au au bout des orteils.
Lucie continuait de me dire non alors que je sentais qu'en persistant, elle finirait par craquer. Elle m'aimait sans le savoir. Ou alors elle le savait mais était aveuglée par l'éclat que renvoyait Kensei, son Soleil. Et moi, m'avait-elle fait comprendre, j'étais l'Etoile du Berger. Au moins, je faisais partie de sa galaxie et c'était à moi de la guider. Ça me rendait fou qu'elle ne le réalise pas. Nino disait que je me faisais des idées, que j'étais obstiné et que je devais abandonner parce qu'elle ne lâcherait jamais Kensei. Mais pour moi, c'était elle ou personne.
L'année avançait à grands pas. Ensuite, il ne me resterait plus qu'un an à Nintaï. Être oublié des gens ne me faisait pas peur. Mais être gommé de l'esprit de Lucie, c'était ma pire crainte. Y penser me trouait la poitrine et changeait la lave en torrent glacé.
Trop penser, être conscient de toutes ces injustices, ça me faisait du mal. Parfois, j'aurais aimé n'être qu'un idiot pour ne plus souffrir de tout.
C'était toujours quand je m'ennuyais que j'avais les plus mauvaises idées. Je me le répétais mais cette fois, j'étais désespéré. Je ne trouvais rien qui me fasse du bien, qui me fasse oublier à quel point la vie me paraissait injuste. Je ne pouvais plus passer mon temps à alterner entre les moments de bonheur relatif et la vie. Après avoir souffert, après perdu mon frère, j'avais finalement trouvé le véritable bonheur. Et il ne voulait même pas de moi.
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Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...