[Narration : Lucie]
Il avait tant plu dans l'après-midi que les arbres dégoulinaient d'eau. À présent, les nuages s'étaient dissipés et les piétons avaient refermé leurs parapluies au milieu du boulevard. Ce n'était pas une simple éclaircie mais une belle accalmie. Il ne pleuvrait plus de la journée et j'envoyai un message à Kensei pour l'inviter à se promener en ville. J'étais arrivée au bout de mes premières révisions universitaires et prendre l'air ne me ferait pas de mal.
Sa réponse ne se fit pas attendre : il ne pouvait pas sortir du garage du Vieux qui lui avait confié un projet de rénovation sur une moto datant de l'après-guerre. J'eus un grognement inaudible et rangeai mon portable. Tant pis pour lui.
Lorsque le feu du carrefour passa au vert, je m'engageai sur le passage et me dirigeai vers le parc le plus proche. C'était un lieu dans lequel je n'étais jamais allée, dans la mesure où il se situait non loin de la zone industrielle. Je serrai les pans de mon imperméable et m'engouffrai dans le passage de l'entrée.
Le parc était petit. J'estimai pouvoir en faire le tour en dix minutes. L'espace n'était pas dénué de charme mais il manquait cruellement de verdure et de promeneurs. Il planait une odeur d'herbe qui n'avait pas encore séché et l'endroit était dépourvu de beaux arbres ; ceux-là étaient malingres et leurs feuilles jaunes gorgées de pluie et trouées par les parasites. Je ne retrouvai pas la sérénité que j'avais éprouvée en compagnie de Jun lorsqu'une fois, nous nous étions assis sur un banc à écouter le vent murmurer dans les branches.
J'atteignis la moitié du parc en cinq minutes. Une petite fille jouait à côté d'un plan d'eau sur lequel flottaient des bateaux en papier. Son grand-père se trouvait derrière elle pour la surveiller. Elle se tourna vers lui en soulevant un bateau et demanda où étaient passées les vagues sous la coque. À l'exception de ce tendre moment, je jugeai ce parc mortellement sinistre. Je poursuivis mon chemin pour quitter rapidement cet endroit.
Je stoppai net sous un platane et m'accroupis derrière des buissons. Jetant des regards inquiets à droite à gauche, je me demandai si quelqu'un là-haut ne tirait pas les ficelles de mon existence pour me faire à chaque fois tomber dans des situations dangereuses et improbables.
Les traits que j'observai étaient ceux d'un fin collier de barbe, surmonté d'un nez corbin et d'yeux étroits et brillants. Et... J'eus du mal à le croire ! L'individu assis sur le banc à côté d'Eisei n'était autre que... Fumito.
Je distinguai nettement leurs visages tournés de profil puisqu'ils se regardaient en discutant. Avant de le revoir à cet instant, je me souvenais à peine du portrait de Fumito et pour cause : il était passe partout. Terrifiant en raison de son allure de drogué criminel mais son visage n'avait rien de particulier, bien qu'il fut empreint d'un air hargneux comme s'il était prêt à en découdre à tout moment.
Fumito était maigre, pâle, avait les joues creuses et les cheveux coupés très courts, un nez épaté et des cernes immenses sous les yeux. Son regard était à l'affut. À côté de lui, le visage paternel d'Eisei affichait une gravité plus importante encore que celle de Fumito. Son expression était aussi plus impénétrable que dans mes souvenirs.
Tous deux portaient des blousons de cuir noir, agrémentés de petits clous, un peu comme celui de Juro. Je n'avais jamais vu Eisei porter ce vêtement au sein de l'établissement Nintaï.
Je m'approchai aussi silencieusement que j'en étais capable, faisant bien attention où je mettais les pieds. À présent, je pouvais les entendre.
Fumito rumina :
« J'passe mon temps à me planquer ! C'est la première fois que je mets le nez dehors depuis...
— Tiens le coup, mec. Y'en a plus pour longtemps. »
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Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...