37. L'écorché

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[Narration : Lucie]

J'attendis assise dans sa chaise de bureau, sans parler ni bouger. Une demi-heure s'écoula et je luttai contre le sommeil. Kensei était toujours immobile, puait la transpiration mais il avait cessé de saliver, était allé aux toilettes pour vomir et avait encore bu beaucoup d'eau. Peu à peu, il semblait recouvrer ses esprits.

Je me demandai quand enfin, nous allions pouvoir dormir lorsque l'expression sur son visage se partagea entre fureur et désespoir. Kensei commença à se gratter le dos comme s'il le démangeait.

« Foutue cicatrice !

— Ça ne te fait pas mal, de te gratter comme ça ?

Il ne répondit pas mais accentua le rythme et la puissance de ses gestes. Sa peau se mit à rougir.

— Pourquoi tu refuses de m'en parler ? Ça plus d'un an que nous sommes ensemble et...

Il me coupa d'un regard noir, les yeux plissés par le froncement accentué de ses sourcils :

— Y'a rien à dire ! Et puis je sais que Nino t'en a touché un mot. Pas la peine de faire l'innocente !

— Je ne m'en cache pas, répondis-je doucement. C'est juste bizarre d'enquêter auprès des autres pour en savoir plus sur toi.

— T'enquêtes sur moi ? Mais t'es vraiment pas nette !

Cela faisait quatre heures que nous avions quitté le bar et je n'en pouvais plus. L'alcool avait rendu Kensei exécrable et le sommeil pulvérisé ma patience.

— C'est toi qui me pousse à ces extrémités, rétorquai-je. Je te demande pardon si mes questions t'embarrassent. Mais si tu me parlais un peu plus de ta vie, je n'aurais pas besoin de...

— Tu te mêles de tout, rien ne peut y faire !

— Être curieuse et inquiète est différent.

Son nez se pinça et ses pupilles s'étrécirent. Il quitta sa position en tailleur pour poser les pieds au sol.

— Le résultat est le même, t'es vraiment une fouineuse !

Il passa vivement son bras en travers de son dos et s'esquinta plus fort.

Mon cœur battait à cent à l'heure. Je ne le reconnaissais plus. Je n'avais qu'une envie, quitter cette pièce et retrouver mon lit, loin d'un Kensei ivre et agressif.

Il me toisa du regard et déchaîné, s'écorcha le dos de ses ongles comme s'il voulait en retirer toute la peau.

— D'abord, comment t'enquêtes sur moi, hein ?

Tentant de me maîtriser, je m'éclaircis la voix :

— Je pose des questions. On me répond ou non.

— Personne ne t'arrêtera, hein ? Tu cherches à me boucler ou quoi ? Les flics sont prêts à tomber sur n'importe qui !

Ses propos me choquèrent.

— Te boucler ?

Kensei me regarda comme si j'étais une demeurée. C'était la même attitude que celle qu'il m'avait réservée lors de mes premières semaines à Nintaï.

Il se leva à moitié. À mon sursaut en arrière, il se laissa aussitôt tomber sur le futon avec un sourire en demi-teinte.

— Quoi ? Tu crois que j'vais te taper dessus ? Comme Reizo ? Je ne suis pas comme lui !

Il n'était pas dans son état normal mais je reçus ses paroles comme des balles. Pour la première fois depuis que nous étions ensemble, j'étais effrayée.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant