Laury :
Elle n'est pas guérie, elle non plus. Je parlais à Anna de ma lecture actuelle, quand j'ai remarqué son regard voilé. J'avoue que ça m'a d'abord fait un peu peur, je ressentais une sorte d'appréhension, mais à présent je suis heureuse d'avoir bien réagi. Elle était en train de s'enfoncer, de s'enliser dans la boue de ses pensées. Je connais ça, je sais ce que c'est que de ne plus avoir le moindre contrôle sur son esprit, et celui-ci, n'en faisant qu'à sa tête, se met à te montrer justement toutes les choses que tu voulais oublier. On a l'impression que même notre inconscient se ligue contre nous. Et c'est très compliqué de se ressaisir, parce que ça laisse le goût amer de la défaite dans la bouche, alors qu'on ne savait même pas contre quoi on se battait. C'est pour ça qu'en thérapie, on commence par mettre un nom sur ce qui menace et envahit la tête du patient. Quand on sait ce qu'on a, et c'est la même chose pour qui on est, les choses deviennent, pour une raison encore inconnue, beaucoup plus simples, beaucoup plus accessibles. C'est bien un truc d'humain d'avoir besoin de donner un nom à tout pour s'y retrouver. Pour ce qui est de Anna, je ne sais pas encore tout à fait ce qu'elle a, mais j'ai une piste. Même si je ne suis encore sûre de rien, il y a chez tout être humain banal, une espèce d'instinct primitif d'empathie plus ou moins élevé, qui nous pousse à prendre soin de l'autre. Il paraît que c'est quelque chose que l'on perd en mûrissant, puis qu'on a tendance à retrouver en vieillissant. Ça a d'ailleurs été mon cas, pendant des années, et je m'en veux énormément aujourd'hui, alors la première chose que je fais pour compenser ces années, c'est de faire preuve d'empathie le plus possible, de me mettre à la place de l'autre, et d'essayer par tous les moyens de l'aider. Pour ça, il faut passer par l'un des cinq sens. Ce qui marche le mieux, c'est la vue, parce que notre cerveau est persuadé que c'est le plus important et que sans elle, on n'arriverait plus à rien. Quand j'ai pris ses mains entre les miennes, elle n'a pas tressailli d'un pouce, je pense qu'elle n'a rien remarqué. En revanche, elle est quelque peu sortie de sa torpeur quand je lui ai parlé. J'ai feinté d'abord l'agacement, pour lui faire croire que je faisais tout ça instinctivement alors que ça fait déjà plusieurs minutes que je l'ai remarqué. Puis j'ai opté pour la première question qui m'est venue à l'esprit.
- " Ça va ? "
Mais Laury, qu'est-ce qui ne va pas bien chez toi, espèce d'idiote ! Bon sang, je ne pouvais pas sortir une chose pire que celle-ci. Évidemment qu'elle ne va pas bien ! Je m'arrête brusquement de pester intérieurement lorsqu'elle accroche mon regard. Elle me scrute, me sonde, et je fais de mon mieux pour faire de même, en essayant de paraître rassurante. Même si je ne le montre pas d'un poil, je suis moi-même déstabilisée par l'intensité de son océan chocolat. Je ne l'avouerais pour rien au monde, mais je me trouve brusquement ridicule à tenir ses mains dans les miennes et à la regarder comme une idiote. Pourtant, je sais que c'est efficace, puisque le regard d'Anna a perdu son errance, et je suis tellement fière de moi que j'esquisse un sourire. Je n'aurais peut-être pas dû, parce que ce sourire suffit à secouer Anna. Une lueur de surprise apparaît au fond de ses prunelles dans lesquelles je suis encore plongée. Et quand elle détourne le regard, c'est comme si je me décrochais, comme si on m'arrachait à mon repère. Je reprends vite mes esprits, et ça pour constater que les mains chaudes de mon amie sont encore dans les miennes. Je les lâche immédiatement, me raclant la gorge, soudainement gênée. En même temps Laury, tu l'as bien cherché. Quelle idée de te foutre dans le bain comme ça ! Je pousse un petit soupir, essayant de me recentrer sur la situation actuelle. Et quand je relève les yeux, c'est pour croiser le sourire goguenard de mon cher frère. Quel crétin celui-là ! Son air taquin et malicieusement complice a le don de me rendre folle. Manquerait plus qu'il ouvre sa bouche pour sortir la traditionnelle remarque cinglante... Mais non. Il se tait, se contente de continuer à me regarder en haussant les sourcils d'un air supérieur de monsieur-qui-a-tout-compris. À mes côtés, j'entends Anna se racler la gorge. Ça résonne dans notre silence, qui pourtant ne règne qu'entre nous, puisque les deux mecs ne font que chuchoter entre eux tout en nous lançant des regards amusés. Ils sont d'ailleurs toujours collés l'un à l'autre, et Ian est toujours blotti contre Finn de façon étrange, pas très naturelle. Je ne le remarque que maintenant parce que j'ai besoin de m'attacher à des détails pour penser à autre chose. Finalement, les deux amoureux finissent par discuter à voix plus hautes, et je suis étonnée de constater que leurs sujets de conversation sont tout à fait banals.
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Un Océan Dans Les Yeux
Storie d'amoreFinn est un jeune homme à qui la chance sourit. Il a tout pour être heureux, des parents qui le chérissent, une grande sœur attentive et un petit frère adorable, une maison immense et de l'argent à n'en plus finir. Et puis, il est populaire, tout so...