9 septembre 2017
Assise à la table de la salle à manger, je finissais mon petit-déjeuner distraitement, un peu déprimée. Aurore, ma colocataire, et sa copine étaient affalées sur le canapé et regardaient une série. Ce devait être hilarant vu comment elles gloussaient depuis tout à l'heure. Je plongeai mes yeux dans mon café noir déjà froid et je soupirai. Depuis la rentrée, je me sentais l'âme en peine. Les raisons étaient évidentes, mais j'essayais d'en faire abstraction.
D'abord, il y avait eu la reprise des cours en milieu de semaine. Il était fini le temps où je pouvais profiter des vacances estivales jusqu'à la fin septembre. Entamant maintenant ce fameux Master2 en muséologie et médiation pour lequel je m'étais battue en entretiens l'année dernière, j'avais été mise dans l'ambiance dès la pré-rentrée, ce 6 septembre passé : – Ici, à la Sorbonne, nous formons l'élite du monde de la Culture. Vous allez obtenir votre diplôme dans l'excellence, nous en sommes certains. Il vous ouvrira les portes des musées les plus prestigieux du monde, ne l'oubliez pas. Alors nous attendons de vous rigueur, sérieux et travail ; et même acharnement, aurait pu ajouter cette nouvelle flopée de profs en tweed et sacoche en cuir.
Nous n'étions pourtant que dans les bâtiments de la nouvelle Sorbonne, ceux tout le temps en travaux, datant des années 70 avec des murs effrités en crépis beiges, des fenêtres qui fuient et du béton de tous les côtés. Tout ce qu'il y a de plus prestigieux.
Après ce discours enjoué, je m'étais présentée à la bibliothèque de l'université pour valider mes horaires de travail. Lorsque je signais mon contrat, je remarquai alors qu'il y avait une erreur, au lieu des douze heures initiales, je n'en réaliserai que huit. Ce trou de quatre heures hebdomadaires m'obligerait à demander un peu plus d'argent à mes parents qui finançaient des études qu'ils trouvaient déjà trop longues. Vaincue, j'avais récupéré le planning du premier semestre et avais découvert que je ferais la fermeture de l'établissement à vingt heures le vendredi et l'ouverture à dix heures le samedi.
J'étais rentrée chez moi en métro, morose, sous la grisaille parisienne qui avait fait son retour, comme pour nous dire que le temps des apéros festifs dans les parcs était lui aussi terminé. Et hier j'avais reçu un texto de Léopold, qui ne m'avait pas contactée depuis des semaines, pour me demander son chargeur de téléphone. Oui, son chargeur avait longtemps traîné chez moi. La semaine dernière, en faisant le ménage, je l'avais récupéré sous la table de nuit, l'avais mis dans un sac et l'avais déposé au supermarché dans les bacs de déchets électroniques parce qu'il ne marchait plus. Il ne comprenait pas. Il disait que je devais lui en racheter un autre. Quel con !
Ce n'était plus mon mec depuis la mi-juillet. Et bien que ce ne soit pas moi qui en ait fait le choix et que j'accusais encore le coup, j'y voyais une forme de liberté. Pas de prises de tête, pas de rendez-vous à honorer, pas de sentiments à donner. Après neuf mois d'une relation plate et insipide, j'étais soulagée de ne plus avoir à m'adapter à quelqu'un à qui rendre des comptes. Et c'est en voyant la main d'Aurore posée sur la tête de sa copine pour lui caresser les cheveux que je me rendis compte de ce que je ne voulais pas. Pas ça.
Je ne voulais pas de dimanches matins à glander à deux devant une série. Je ne voulais pas de conversations banales sur ce que l'on allait manger le midi. Je ne voulais pas partager le lit pour y dormir dans les bras de l'autre.
Moi ce dont j'avais envie, c'était de folie. D'avoir le coeur qui palpite, les mains moites, la gorge nouée, le bas-ventre contracté, la poitrine enflammée. J'avais envie de vivre une passion véritable, enfin. Quelque chose de spontané, d'évident, d'excitant, d'animal presque. J'avais envie qu'on me fasse perdre la tête, céder à la tentation, abandonner mes réserves. Et puis s'il y avait de la complicité, de l'attention et la tendresse pourquoi pas. Ce serait un joli plus qui ferait durer l'histoire. En couple ou célibataire, je m'en moquais éperdument finalement.
Sauf que je n'étais clairement pas prête à sauter le pas. Hier soir en avait été l'exemple parfait. Julie m'avait téléphoné en me disant – ce soir, on sort ma biche ! J'avais acquiescé. Après avoir avalé un shot de vodka dans l'appartement de mon amie, nous nous étions retrouvés à une soirée animée chez Léo, un ami du frère de Tomas que nous avions rencontré le week-end précédent au concert. Julie avait sympathisé. Elle avait jeté son dévolu sur lui. Cela n'avait bien entendu pas fonctionné puisqu'ils aimaient tous les deux flirter avec le même genre. Mais il lui avait dit en riant qu'il gardait son numéro – au cas où, et il nous avait invitées chez lui ce soir.
L'ambiance était festive dans cette grande colocation au fin fond du 18ème arrondissement. Nous avions débarqué sans connaître grand monde, mais très vite nous avions discuté avec nombre de gens qui côtoyaient tous le même milieu : certains étaient acteurs ou comédiens en herbe, d'autres s'essayaient comme assistants-réalisateurs, directeurs de castings ou scénaristes, nombreux étudiaient le cinéma ou le théâtre, et le reste se composait d'artistes de tous horizons.
Sur le balcon nous avions retrouvé Léo.
– Hey ! Vous êtes là ? Trop cool ! ... Je vous présente mes colocs, Matia, Simon et Josie. Là, y'a David et Chloé. Et je ne vous présente pas le plus beau ! s'esclaffa-t-il en passant son bras autour des épaules du frère de Tomas.
– Seulement selon le classement de GQ magazine de l'année dernière, répondit-il sans ironie en portant à sa bouche le verre qu'il avait entre les mains.
La dernière fois que je l'avais vu, il avait renversé sa bière sur mon t-shirt et n'avait presque pas dit un mot de la soirée, avant de se vanter qu'il devait rejoindre une fille pour la nuit plutôt que de rester avec nous. Ce soir, il semblait fidèle à la première image que j'avais eue de lui : arrogant. Je croyais le début d'une amitié possible quand il m'avait offert ses lunettes de soleil au parc. Tant pis. Avant de venir, j'avais pris une résolution avec moi-même : me lâcher. Faire ce dont j'avais envie, quand j'en avais envie, avec qui j'en avais envie. Je ne m'inquiéterai pas d'essayer de sympathiser avec cette petite star prétentieuse.
Pourtant, alors que l'occasion s'était présentée à moi comme sur un plateau, je m'étais défilée. Une main était venue se poser sur mon épaule :
– Eh salut toi !
C'était ce garçon aux cheveux mi-longs avec un regard tendre à qui j'avais beaucoup parlé après le concert, François. Il me fit un grand sourire auquel je répondis. Et il se pencha pour me faire la bise. Sa barbe me râpa les joues. Nous nous mîmes à discuter de tout et de rien, c'était agréable.
– T'es mignonne quand t'es naïve comme ça, tu sais ?
– Ah, je- merci.
Il s'approcha de moi. J'en fis autant. Nous étions sur le point de nous embrasser. Comme en arrière-plan, je sentis quelqu'un qui avait les yeux braqués dans ma direction. Avant que je n'arrive à distinguer qui se cachait derrière ce regard incandescent, la silhouette s'évapora vers l'intérieur. Alors je me reculai.
– Hum, désolée, je suis pas sûre, commençai-je.
– Ah, je croyais.
– Oui, nan. Je crois que je préfère pas.
– Ok, pas de soucis, me dit-il. On rentre ? Il fait froid dehors, je trouve.
J'acquiesçai et le suivis à l'intérieur. Je ne savais plus quoi dire. Je me sentais gênée. Il tentait maladroitement de reprendre la conversation où nous l'avions laissée avant d'aller nous isoler sur un bout de balcon. Et à la première occasion, il sauta sur l'opportunité d'aller discuter avec un autre groupe quand je lui dis que j'allais rejoindre mon amie. Je soupirai, presque soulagée.
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Nos Folies ordinaires
General Fiction[Wattys2023 - Présélection] Ils s'aiment dès le début. Pas de suspense, mais un plongeon direct dans le quotidien de personnages qui s'avouent à demi-mot leurs sentiments au chapitre 20/35 de leur histoire. Puis les bonds dans le temps s'enchaînent...