12/35 Fausses idées [partie 1]

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15 Janvier 2018


–    Alors, mon appartement te plaît ? demanda-t-il au travers du téléphone.

–     Il est très agréable mais j'ai changé depuis hier ! Ton frère m'a invité chez lui. Je suis sur son canapé en ce moment-même.

    Il ne répondit pas. Je changeai le portable d'oreille et le rappelai à ma présence par son prénom.


    Il y a cinq jours, je m'étais réveillée dans un état de confusion totale.

    Je ne reconnaissais rien autour de moi, ni la pièce, ni l'ambiance, ni l'odeur, allongée seule dans un lit inconnu. J'ouvris un peu plus les yeux pour analyser la chambre dans laquelle je me trouvais. Quand enfin, cela s'ajusta : fumée, incendie, sirènes, pompiers, bitume, appel, taxi, appartement, douche, lit.

    J'avais mis un temps fou à trouver le sommeil. Mon cerveau épuisé n'avait pas arrêté de faire tourner en boucle les événements de la soirée. Mais c'était de sentir Daniel dans mon dos qui m'avait empêché de sombrer. J'avais été à deux doigts de me retourner et de me fondre dans ses bras. Au bout d'un moment, j'avais entendu sa respiration se calmer et j'avais senti son corps se relâcher. Il s'était endormi contre moi.

    Ma tête me faisait un mal de chien. Et mon pouls résonnait si fort qu'il cognait contre mes tempes. Pourtant, c'était dans une pénombre douce que je baignais. Je hasardai mon regard autour de moi : une grande pièce aux murs clairs, une immense baie vitrée aux stores à demi baissés qui laissait entrevoir un balcon, un lit qui trônait au centre de la pièce comme unique meuble en plus d'une chaise aux larges montants sur laquelle était posé le sweat-shirt qu'il m'avait prêté hier soir.

    Je me redressai et, dans l'inattention, cognai du pied la tasse de thé que je n'avais pas bue hier soir. Le liquide se reversa sur le plancher. Embarrassée, je me précipitai de la chambre et attrapai un torchon dans la cuisine pour éponger mes méfaits en grognant un merde. J'avais peur que cela laisse des traces. Je me retrouvai à quatre pattes à frotter le sol avec rage.

    Les larmes me montèrent aux yeux. Je laissai lourdement tomber mes fesses sur le plancher et cédai à mes pleurs. Bordel, mais qu'avait-il bien pu se passer depuis ma soirée d'hier, à regarder une série en mangeant des bonbons avec Julie ?


    Ma tête sur les genoux, j'étudiais posé à même le sol, le tirage photo en noir et blanc d'un paysage évanescent entre terre et rivières. Cela me calma.

    Au pied du lit, à côté d'une pile de bouquins mal empilés qui servaient de table à une lampe, mes yeux s'attardèrent sur un carnet à la couverture noire. Je tendis la main. Je l'ouvris à la page marquée d'un feutre. Je reconnus l'écriture de Daniel, la même que sur ce mot qu'il m'avait laissé sur ma table de chevet un jour. Je fis passer les pages avec précaution. J'y voyais des lignes de textes en anglais ou en français, quelques dessins, parfois un petit papier volant, ou un ticket divers. Je le refermai prestement, honteuse de rentrer dans ses pensées s'en y être invitée. Comme dans cet appartement d'ailleurs.

    Je décidai d'en poursuivre la reconnaissance. Je compris qu'hier soir j'avais à peine examiné où j'avais mis les pieds. En cette matinée de janvier, je découvris des pièces inondées d'une lumière blanche qui éclairait une ambiance dépouillée.

    Jamais je n'avais cru cela possible chez lui. Lui si extravagant dans ses tenues et sa façon d'être, j'avais imaginé toutes sortes de choses : un capharnaüm contrasté chargé d'objets intriguant, une garçonnière sombre mal rangée et chaotique, un haut-standing avec des meubles minimalistes en métal et des tableaux de tâches de peintures, jamais une économie de geste et un dénuement d'éclats. S'en dégageait pourtant un calme qui était bienvenu.


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