2/35 Torpeurs bretonnes [partie 1]

53 7 42
                                    


30 Juin 2017

 L'ambiance dans la voiture était douce et festive. C'était le début de l'été et nous étions heureux de commencer les vacances ensemble. Nous avions pris la route en début d'après-midi après avoir chargé vivres et bagages et nous avalions les kilomètres vers une destination inconnue en Bretagne, la maison de famille de Tomas. 

Il nous avait invités à y passer une dizaine de jours, avant que cette dernière ne soit prise d'assaut par toute sa famille qui profitait de cette période pour réunir grands-parents, oncles, tantes et cousins installés des deux côtés de la Manche. Cela faisait déjà plus de quatre heures que nous roulions au rythme de la musique de chacun.

J'avais hâte, l'année avait été longue après tous ces entretiens passés pour mon entrée en Master2. Je me languissais de partager ces vacances entre amis dans une grande bâtisse ancienne à trois cents mètres de la mer comme me l'avait décrite Tomas. Lui était surexcité. Il nous avait fait un récit ému de ces étés passés dans cette maison en compagnie de ses frères, soeurs et cousins. Il avait déjà régulièrement invité des copains à séjourner là-bas, mais il avait rarement pu profiter d'être le maitre de maison durant ses escapades.

Nous étions notre petite bande habituelle : Tomas, Alex, Julie, Ana et moi. Nous serions seuls là-bas pendant presque l'entièreté du séjour, les prochains cousins avec enfants n'arrivant que le week-end de notre départ. Mais ce fut sans compter sur la présence d'un invité de dernière minute, le frère de Tomas, Daniel. La star. Tomas nous informa quelques jours avant notre départ qu'il lui avait proposé de se joindre à nous, c'était le seul moment où ils pourraient passer du temps ensemble, son frère enchaînant les projets durant tout l'été. Tout le monde accueillit la nouvelle avec joie. Sauf moi.


Je ne l'avais pas revu depuis la soirée d'anniversaire de Tomas et je gardais un goût amer de son arrogance. J'appréhendais de nous retrouver enfermés plusieurs jours avec une personne si égocentrique. La troupe, elle, était enthousiaste. Il est vrai qu'ils avaient eu l'occasion de le croiser plusieurs fois depuis ce fameux événement, et qu'ils avaient soi-disant passé des soirées inoubliables. Le frère de Tomas avait toujours des events auxquels assister, et ils s'étaient un soir tous retrouvés à une free party, entourés de célébrités du cinéma et des médias télé dans une ancienne écurie royale paumée en plein milieu d'un champ dans la campagne essonnoise. Julie m'avait raconté des étoiles dans les yeux qu'elle y avait croisé un certain Bastien Quelque-Chose qui avait joué dans le dernier film d'une réalisatrice en vogue. Ils avaient eu une longue conversation enflammée. 

Tout cela me dépassait. Oui, j'aimais le cinéma, l'art ou la mode, mais ce monde me faisait beaucoup trop peur pour que j'aille m'y frotter. Ainsi, lorsque Tomas nous avait proposé de se joindre à lui à ces quelques soirées ce mois passé, j'avais prétexté d'autres plans. Par chance pour moi, Daniel ne débarquait que le lendemain soir. Un laps de temps qui passa bien vite.


Notre arrivée juste avant le coucher du soleil à la maison fut mouvementée. Nous étions enjoués de découvrir cette magnifique bâtisse en pierres grises du XIXème siècle, clairement dans son jus, aux pièces innombrables meublées de bric et de broc aux fils des décennies. L'ambiance y était magique. Le poêlon antique et le mobilier des années cinquante côtoyaient les meubles en formica dans la cuisine. Une immense étagère qui recouvrait l'entièreté du mur du deuxième salon était remplie de livres de la bibliothèque verte, d'encyclopédies sur le monde, et d'ouvrages des éditions de minuit en français, en anglais, en arabe, et même en mandarin, à croire que la famille vivait aux quatre coins du monde. Les neuf chambres avaient des couleurs et des thèmes associés, la bleu mer, la jaune épis de blé, la verte sous-bois, la rouge florale, la azur du ciel,... Et le kitsch était à son comble dans les salles de bains carrelées dans les années 90 de motifs de dauphins nageant dans une mer agitée. Les parquets grinçaient, les portes fermaient mal, les lits étaient défoncés. Mais l'on s'y sentait tellement bien. Le jardin était à l'honneur de la maison : un véritable capharnaüm où les herbes folles atteignaient des sommets. Il y avait des rhododendrons, des lilas, des hortensias en fleurs... Plus loin, à l'abri des vents marins, on y trouvait aussi des pommiers, des pêchers, des poiriers, des pieds de tomates, de courgettes, de salades, de fraises, des herbes fraîches dans un verger entretenu par les voisins. Du mobilier de jardin trainait partout sur le terrain parmi les ballons de foot crevés et plusieurs transats en bois était rassemblés autour d'une cuisine d'extérieur rudimentaire sous une verrière aux vitres vertes de mousses.

Nos Folies ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant