32/35 En équilibre

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20 mars 2020

Il fallait ouvrir la porte de l'appartement discrètement pour ne pas les déranger. Cela faisait quatre jours qu'ils y étaient confinés pour une durée indéterminée.

    Dans l'entrée, c'était toujours le bazar. Il y avait trop de paires de chaussures, de baskets, de bottines, de santiags, de nu-pieds, de sneakers, abandonnés sans ordre sur le plancher, trop de vestes, de doudounes, de blousons, d'impers, de k-way, de cardigans, qui dégueulaient des petits crochets du porte-manteaux, trop d'écharpes, de foulards, de casquettes, de bobs, de bonnets, de chapeaux, qui s'étalaient sur l'étagère et trop de sacs en tout genre, de sac-à-main, de sac-à-dos, de sacoches, de sacs de voyage, de sac-banane, de sacs en tissu, de sacs en plastique, même des sacs de plages alors qu'on était en plein coeur de Paris.

    Mais tout le monde ne vivait pas avec un fashionista. Il fallait pouvoir parer à toutes éventualités en toutes circonstances. Ça l'arrangeait bien, elle pouvait piocher à souhaits dans des accessoires qu'elle n'aurait jamais achetés.


    Après, on continuait à pas feutrés dans le salon pour trouver un peu d'ordre. Les cartons de déménagement avaient enfin disparu après des années à combler les coins de la pièce. Un immense tapis avait été ajouté au pied du canapé, un tapis tissé avec des motifs délavés dessus, un truc très tendance. Sur la table basse, une aloe vera trônait maintenant et dans l'angle sous la fenêtre poussait une monstera, un caladium, un ficus robuste, une pilea, et une asplenium. – Ça commence déjà à faire intérieur de bobo, se plaignait-il. Il détestait arroser les plantes, alors c'était elle qui s'y attelait. Elle avait la main pour ça, son appartement avait toujours été rempli de pousses vertes.

    À côté de l'aloe vera fièrement dressée, un magazine était maintenu ouvert à la page 42, grâce à un verre nervuré sur un article intitulé « C'EST L'INTENTION QUI COMPTE ». Caché en dessus, il y avait un autre magazine un peu honteux, un HeatWorld, ce genre de papier gras qui raconte les déboires des people venus d'outre-Manche et d'outre-Atlantique pendant leurs vacances aux Iles Canaries ou leurs engueulades intra famille royale. Son guilty-pleasure quand il prenait l'avion.


    Sur le canapé, on aurait pu attraper une brosse à cheveux et un tube de crème hydratante esseulés, déplacés tous les jours dans des endroits différents de l'appartement. Parce qu'elle ne supportait pas de rester enfermée dans la salle de bain après la douche, il fallait qu'elle en sorte enroulée dans une serviette, les cheveux trempés, et finisse de se préparer en traversant toutes les pièces, laissant ses traces de pied humides sur le plancher. Alors parfois, c'était la brosse à dents sur la table de la cuisine, le tube de mascara sur l'étagère du salon, et bien sûr la serviette laissée en boule sur le tapis du dressing.

    Il se contentait de ramasser le tout et de le remettre dans la salle de bain en soufflant qu'elle était tellement bordélique. Elle répondait qu'il était maniaque. – Tu m'expliques ce que fait le tube de dentifrice dans le lit ? arguait-il en pointant ledit tube vers elle. Elle prenait un air désolé qui le faisait sourire.

    Les étagères le long du mur s'étaient remplies de livres : des gros, des petits, des futiles, des intelligents, des français, des anglais. Le rangement était esthétique, il aimait faire des dégradés de couleurs et de tailles dans les bibliothèques.

    Un jour, dans un élan romantique parce qu'il était heureux de s'être réveillé à côté d'elle ce matin-là, il lui avait ramené un bouquet printanier en même temps que sa brioche préférée à la praline pour le petit-déjeuner. Devant lui, elle s'était moquée en lui demandant – Bah, elle est où la bague qui va avec ? Derrière lui, elle avait senti une bouffée de chaleur lui grimper dans la poitrine qui lui avait presque donnée envie de pleurer. Elle avait pris soin d'en faire sécher les fleurs qui présidaient fièrement le salon dans un vase démodé chiné aux puces de Saint-Ouen un dimanche matin.

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