13 octobre 2017– Ça va ? J'vous dérange pas trop ?
Emportés comme deux ados s'échangeant leur première galoche derrière le bâtiment B du collège, aucun de nous deux n'avaient entendu le bruit des pas dans l'escalier. Nous sursautâmes et Daniel se détacha vivement de moi. Je cherchai ses yeux, mais il m'ignora absolument. Telle une gamine prise sur le fait, je rougis comme une pivoine.
Je sentis de suite que la phrase de Tomas ne m'était pas destinée. Il fixait son frère d'un regard que je ne lui avais jamais vu, dur, froid, presque déçu. Daniel ne dit pas un mot et quitta la pièce en cognant au passage dans une chaise qui tangua lentement sans se renverser. Tomas serra les poings. D'un coup, il se tourna vers moi :
– Tu m'expliques ?
– Hum, je-
– Ça fait longtemps cette histoire ? J'aurai préféré l'apprendre avant de le voir, dit-il sarcastique.
– Qu-Quoi ?
– Bah que vous êtes ensemble.
– On- on n'est pas ensemble.
– Ah bon ? Ça y ressemblait pourtant... C'est souvent que tu chopes quelqu'un lors du déménagement de son frère ?
Tomas était énervé, mais, même si la situation était incongrue, cela ne lui ressemblait pas de me parler ainsi.
– Tu sais pas dans quoi tu t'embarques, Sarah, grogna-t-il.
Je fronçai les sourcils, n'appréciant pas sa remarque.
– Je sais me débrouiller toute seule, merci.
– T'es sûre de toi, là ?
Et alors que j'allais renchérir que oui, il n'avait pas à s'en mêler, je me rendis compte que non, j'étais loin d'être sûre de moi et que ce matin, je n'avais encore qu'une envie : étriper Daniel pour le faire redescendre de son piédestal. Et que lui, plutôt que de dire quelque chose, s'était barré sans cérémonie. Et que moi, j'étais là, debout, comme une idiote.
L'adrénaline redescendit d'un coup. Je me laissai choir sur un carton, les yeux dans le vide, un gout d'amertume dans la bouche. Tomas s'approcha et posa sa main sur mon bras.
– Excuse-moi. C'est juste que... je m'y attendais pas. Pas comme ça.
– C'est- c'est pas grave, bredouillai-je. Y'a rien de toute façon.
Ma voix se coinça dans ma gorge. Oui, voilà. Il n'y avait rien. Rien que des malentendus.
– T'es sûre ? me demanda Tomas après un long moment.
Je croisai ses yeux. J'y retrouvai sa gentillesse habituelle et une pointe d'inquiétude. Je tentais un sourire maladroit. Julie passa la porte avec une valise dans les bras :
– Daniel m'a dit qu'il allait s'acheter des clopes. Le salaud a fui ! rit-elle. Ça va les gars ? C'est quoi ces têtes d'enterrement ?!
Nous étions assis sur une chaise pour l'un, sur un carton pour l'autre, sur les coussins du canapé pour le reste et savourions des pizzas cuites au feu de bois avec une blonde légère. Le déménagement fini, Tomas avait payé sa tournée. Il était treize heures trente et j'évitai soigneusement le regard de mon ami et de son frère qui s'était éclipsé pendant une dizaine de minutes après l'incident. Depuis, il n'avait pas dit un seul mot, avait mangé une part de pizza et restait scotché à son téléphone.
J'avais affreusement envie de lui parler mais redoutais encore plus le moment de le faire. Je le scrutai alors discrètement, en profitant pour le détailler, m'attarder sur ces sourcils sombres froncés, sur ce grain de beauté qu'il portait en haut du cou, sur cette chaîne argentée qui lui marquait la peau, sur ces lèvres fines qu'il mordillait. Je n'avais jamais remarqué qu'elles étaient si rouges. Je me mordis alors les miennes. La sauce piquante avait enlevé le goût de siennes. Rien qu'à cette pensée, je fus prise d'une bouffée de chaleur incontrôlable.
Je remarquai que je n'étais pas la seule à l'observer, Tomas le surveillait également du coin de l'oeil. Dans quel merdier m'étais-je fourrée ?
– Bon, je vais y aller les gars, déclara Daniel en s'ébouriffant les cheveux.
J'avais cherché ses yeux, en vain.
– Ah ouais ? demanda Tomas.
– Ouais, j'ai des rendez-vous à gérer cet après-midi.
– Hum, moi aussi, je vais y aller, dis-je alors. J'ai cours à quinze heures.
Tomas me fixa et je tentais de ne pas faiblir.
– Vous m'abandonnez tous quoi ! Personne pour monter mes meubles !
Je me levai et enfilai mon pull qui avait séché sur le chauffage. Par chance, il ne pleuvait plus. Daniel rassemblait ses affaires, mais il était rapide. J'eus à peine le temps de saluer mes amis qu'il dévalait déjà l'escalier. Je dus presque courir pour me retrouver à sa hauteur dans la rue. Je m'irritai en lui disant de m'attendre. Sans se retourner, il répondit qu'il était pressé.
– Et puis, t'as pas cours là ? lâcha-t-il agacé.
– Euh si, mais... Mais tu peux ralentir deux minutes qu'on discute, s'il te plait !
– Pas besoin de discuter. C'est bon. Oublie. On passe à autre chose.
– Attends. Tu es sérieux là ?
– Oui, très sérieux. Salut, dit-il tout en marchant à grandes enjambées.
Je me stoppai net. Un passant me doubla. Et là, ce que j'avais eu envie de lui dire depuis ce matin se mua en un cri que je lançais à son dos déjà loin :
– T'es vraiment qu'un putain de connard égoïste !
Il s'arrêta de suite, se retourna et revint furieux vers moi :
– Egoïste ?! Ouais, si tu veux, j'suis égoïste. Mais t'inquiète pas que là, je t'épargne bien des emmerdes... Et vu comment tu me considérais avant, ce que tu penses de moi maintenant change pas vraiment.
– Qu'est-ce que t'en sais ? ... Et quelles emmerdes ? T'es un psychopathe en puissance peut-être ?
– Parle pas de ce que tu sais pas.
Il était toujours planté devant moi et semblait hors de lui.
– Vas-y, dis-moi, qu'est-ce que je ne sais pas ? T'inquiète pas, tes défauts, je commence à les cerner. Ah si, je pourrais ajouter baratineur et manipulateur.
– Je t'ai pas manipulé !
– Ah bon ? Et me choper au déménagement de Tom, c'était quoi alors ?
– Je t'ai forcé la main peut-être ?
– Tu m'as embrassée !
– Non. On s'est embrassés. Et t'avais plutôt l'air d'avoir envie !
Je ne pouvais pas dire le contredire. Je renchéris :
– Alors pourquoi c'est moi qui te cours après, si tu ne me mens pas ?
Il se tut un instant et ses épaules s'affaissèrent quand il dit :
– Parce je pense pas que ça puisse marcher.
– Qu'est-ce que tu en sais ?
– Je le sais, c'est tout.
Je dus lutter pour éviter à mes lèvres de trembler. Je déglutis et dis :
– Alors chacun rentre chez soi et on fait semblant de rien, c'est ça ?
– Oui, chacun rentre chez soi et on fait semblant de rien.
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Nos Folies ordinaires
General Fiction[Wattys2023 - Présélection] Ils s'aiment dès le début. Pas de suspense, mais un plongeon direct dans le quotidien de personnages qui s'avouent à demi-mot leurs sentiments au chapitre 20/35 de leur histoire. Puis les bonds dans le temps s'enchaînent...