13 octobre 2017Je remontais la rue lorsque je vis la petite bande regroupée sur le trottoir. De dos, Tomas faisait des signes imprécis de la main pour aider Alex à garer dans une place trop petite la camionnette qu'il tentait de manoeuvrer. J'entendais Julie crier – Mais, redresse ! ... Non à gauche punaise ! ... Mais il a eu son permis dans un boîte de Kinder Surprise lui ? Je ris. La matinée promettait d'être comique avec ces bras cassés là.
En ce vendredi matin d'octobre, Tomas nous avait demandé un coup de main pour déménager. Nous n'étions pas nombreux. Déménager un vendredi n'était pas commode, mais c'était la seule disponibilité du véhicule qu'Alex avait emprunté à son père. Nous avions donc rendez-vous à neuf heures, rue Louis Bonnet pour vider l'appartement et remplir le nouveau à Saint Ouen le tout avant midi, afin de laisser à Alex le temps de ramener le 15m3 au sud de Créteil.
J'attrapai Tomas par les épaules et lui déposai un baiser léger sur la joue.
– Ah, Sarah, ça va ? ... C'est bon Alex, laisse comme ça, ça ira ! ... Venez, on boit un caf' avant de commencer.
Bruyants, nous grimpâmes l'étage qui nous séparait de l'appartement de notre ami où flottait une délicieuse odeur de café. Nous nous installâmes parmi une flopée de cartons, sacs, et meubles en pièces détachées et Tomas extirpa quelques tasses de ce bazar. Des pas lointains dans l'escalier, quelqu'un qui toqua rapidement en poussant la porte et une grande silhouette entra dans la pièce.
– Dan, t'es là ! s'exclama Tomas en accueillant son frère. J'y croyais pas !
– Moi non plus, souffla-t-il. J'ai une gueule de bois de l'enfer là !
– Tiens, prends un café, intervint Julie en lui tendant une tasse.
– Merci. Qui a ramené des croissants ? C'est une putain de bonne idée ça, s'enthousiasma-t-il penché sur le sachet.
– Sarah, marmonna Alex la tête dans sa tasse, vexé de nos blagues sur sa conduite.
Daniel me remercia avant de s'asseoir sur une chaise libre. Je restai de marbre. J'avalai ma dernière gorgée et rejoignis Tomas parti faire la vaisselle.
– Je ne savais pas que ton frère venait.
– Ouais, c'était pas sûr. Mais des bras en plus, ça fera pas de mal !
Je soupirai. Il était bien la seule personne sur qui je n'avais pas envie de tomber à l'improviste. La dernière fois que je l'avais croisé, c'était à son anniversaire en septembre, dans un immense appartement bourgeois du 15ème, entouré de centaines de personnes ivres d'alcool et de drogue en tout genre. Le souvenir que je gardais de cette soirée était vif et me donnait encore la nausée. Daniel y avait atteint des sommets de mépris, de nonchalance et d'égoïsme. Il était saoul, défoncé, désagréable, vulgaire, provocant. Mais surtout, il avait été d'une brutalité et d'une agressivité totales envers moi. Et ça, j'étais bien incapable de le digérer, même un mois après.
Tel un chef d'orchestre, Tomas motiva les troupes en tapant des mains. Il nous désigna un rôle et je m'empressai de descendre remplir le camion, alors que Julie et Alex s'occupaient des cartons et que les deux frères débarrassaient les meubles. Je réceptionnai les objets de différentes tailles et jouai au tetris pour faire rentrer au mieux tout le bordel qu'avait accumulé Tomas. Les garçons arrivèrent avec la machine à laver, chacun y allant de son injure envers cet électroménager lourd et encombrant. Et malgré la pluie qui commença à tomber, nous enchainions les aller-retours avec efficacité. Daniel semblait particulièrement de bonne humeur puisqu'il blaguait avec chacun, sifflotait en dévalant les escaliers et me tendait le miroir ou l'étagère avec un grand sourire. Je gardais mes distances, je n'avais pas la moindre envie de discuter avec lui.
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Nos Folies ordinaires
General Fiction[Wattys2023 - Présélection] Ils s'aiment dès le début. Pas de suspense, mais un plongeon direct dans le quotidien de personnages qui s'avouent à demi-mot leurs sentiments au chapitre 20/35 de leur histoire. Puis les bonds dans le temps s'enchaînent...