33/35 Trois ans [partie 2]

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13 octobre 2020

 Au premier sortir de la crise en juin 2020, alors qu'un semblant de vie normale pouvait reprendre, je ne sais pourquoi, mais je me mis en tête que notre histoire n'était qu'une erreur de casting. Que je ne devais pas être avec lui. Qu'il ne devait pas être avec moi.

J'installai ces applis de rencontre sur mon téléphone dont Julie m'avait tant fait la pub pendant des années.

Je fus déroutée quand, lorsque je m'y connectai, je retombai sur le profil qu'elle m'avait créé quatre ans plus tôt et dont Daniel avait pris la photo par un après-midi ensoleillé. Je supprimai tout et fouillai dans mon téléphone pour trouver des clichés que je recadrai. Trois photos et une description sommaire où je disais que j'aimais sortir boire des verres, le cinéma et l'art plus tard, je swipai à gauche ou à droite, concentrée pour ne penser à rien d'autre. J'y passai au moins trois heures, un soir où j'étais seule dans l'appartement.

Et puis, il y eut un match qui lança la conversation par un – Salut toi, si tu aimes boire des verres, ça te dirait d'en boire un avec moi ? Sur ces photos, il posait en t-shirt à motif et en short de bain, l'air gentil et calme.


Je manquai de ne pas le reconnaître quand il s'approcha de moi par un jour de pluie du début du mois de juillet dans un imper long bleu marine, sous lequel il portait un costume noir et une cravate, tentant un – Sarah ? J'avais acquiescé tentant un : – Adrien donc ?

– J'sors du taff, j'me suis pas changé, dit-il en me tenant la porte pour rentrer dans un bar du 8ème arrondissement.

C'était lui qui avait choisi, c'était tranquille et il avait l'habitude d'y aller avec des collègues, m'avait-il dit.

– Tu bois quoi ? J't'offre un verre.

– Hum, une blanche alors, merci.

Quand il était revenu du comptoir avec deux bières, nous avions entamé une conversation pleine de maladresse en se racontant des bribes de nos vies. – Oui, j'viens de l'est moi, près de Reims, et puis j'suis arrivé à Paris il y a six ans pour le travail. – Ah oui, et tu fais quoi alors ? – Gestionnaire de paie pour un cabinet d'expertise multinational à la Défense. – Ah... Ok. – Ouais. – En fait, je ne sais pas ce que c'est un gestionnaire de paie.

Il s'était mis à m'expliquer pendant vingt minutes en quoi consistait son métier. J'en retins qu'il gérait les rémunérations des salariés des entreprises pour lesquelles son cabinet était engagé et qu'il faisait beaucoup de réunions. – Pas toujours passionnant, mais y'a du challenge. Ça paie super bien ! ajouta-t-il à la fin.

A chaque fois qu'il relevait son verre pour en boire une gorgée apparaissait à son poignet gauche, une énorme montre argentée Festina au fond bleu avec les boutons chromés et le cadran gravé. Je me retenais de sourire quand me revenais en tête une phrase que m'avait dit un jour Daniel : – C'est les mecs qui veulent faire croire qu'ils en ont une grosse qui mettent ça.

Et puis il me demanda ce que je faisais en ce moment. Gênée, je dis que je cumulais les petits boulots alimentaires avant de me trouver un contrat intéressant dans la médiation culturelle et la valorisation patrimoniale. – Ah ok, c'est cool, me dit-il.

Nous continuions à échanger, l'alcool aidant. Il me raconta qu'il tuait son temps libre en faisait de la guitare électrique et des tours de magie. Je lui racontai qu'avant je tuais mon temps libre en faisant des photographies à l'argentique que je développais moi-même, mais que je n'avais plus le lieu.

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