1/35 Tu me présentes pas ? [partie 2]

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23 Mai 2017


Tomas n'eut pas tort, la soirée changea radicalement avec l'arrivée de ces trois nouveaux invités inattendus. Le volume de la musique avait considérablement augmenté, forçant sur les basses et les rythmes électro. La pièce s'était enfumée de toutes ces cigarettes que les trois modèles avaient constamment entre les lèvres. Les meubles, chaises, tables s'étaient alourdis de cadavres de bouteilles. La chaleur était montée et tout le monde s'était mis en t-shirt. Et nous étions tous saouls.

L'ambiance chromatique de la pièce avait pris une tonalité acide. Les tenues extravagantes de chacun des mannequins reflétaient la lumière en des rayons éblouissants et bariolés. 

L'une des deux modèles, Shana, était une fille immense à la peau mate avec des cheveux noirs crépus tressés du crâne au bas des fesses. Son rouge à lèvre pourpre pailleté mettait en valeur des lèvres épaisses qui s'ouvraient en un sourire ravageur sur des dents blanches légèrement écartées : jamais je n'avais vu quelqu'un porter aussi bien les dents du bonheur. Son top en sequins recouvrait à peine ses épaules saillantes et laissait découvert un dos magnifique, tatoué d'une fleur tropicale. Un pantalon taille haute moulait ses fesses et descendait évasé jusqu'au bas de ses jambes pour cacher des énormes bottines noires. 

Aïleen ressemblait, elle, à une Vénus botticellienne. Ses cheveux blonds aux mèches roses s'étalaient sur ses épaules et ondulaient autour de son visage long aux lèvres fines et aux paupières lourdes. Elle y avait dessiné un épais trait d'eye-liner rose, et non au-dessus des cils comme j'avais appris à le faire dans mon adolescence. Elle portait un ensemble de survêtements oversize gris, rose et noir, floqué Gucci sur des escarpins. 

Mais le frère de Tomas, Daniel, me paraissait le plus fantasque. Je jurais avoir vu au rayon femme d'un grand magasin le gilet zippé rayé de trois bandes noires, jaunes et blanches qu'il portait relativement ouvert sur son torse glabre dénudé. Ses manches trop longues retombaient sur ses mains aux doigts effilés, ornés d'une multitude de bagues en or. Un pantalon noir en cuir saillait sa taille haute et ses jambes pour tomber sur des bottines argentées à bouts pointus. Et malgré ce mélange, le résultat était époustouflant. Je me sentais bête dans mon jean de prêt-à-porter et mes baskets Nike.

Mon naturel timide reprit le dessus et je n'osais pas intégrer une conversation de peur de paraître insipide et inintéressante. Je m'assis sur le canapé pour observer la faune qui s'activait devant moi. L'aura que dégageait chacun de ces nouveaux personnages était immense, que ce soit par leurs tenues, leurs postures, ou même le ton de leurs voix. 

Nous étions tous obnubilés de les voir déambuler dans ce petit intérieur modeste. Eux ne semblaient pas du tout mal à l'aise. Ils étaient même assez agréables et tentaient de nous intégrer dans leurs débats, comme une porte ouverte sur leur monde. Les deux filles étaient les plus faciles. Elles s'enthousiasmaient de tout, complimentaient Ana sur ses boucles d'oreilles, riaient aux blagues potaches de Julie, s'extasiaient de notre quotidien de gens normaux. La grande blonde était maladroite : elle se moqua à plusieurs reprises des études en statistiques d'Antoine, ne comprenant tout simplement pas l'intérêt, et celui-ci se vexa. 

Le frère de Tomas vivait dans un autre monde. À part à Alex qu'il connaissait depuis plusieurs années, il n'adressa la parole à personne, mais ne se gêna pas pour dévisager chacun. Il traversait la pièce en poussant discrètement les corps sur son passage, esquissait un petit pas de danse, passait sa main dans ses cheveux bruns pour recoiffer leur effet décoiffé, une cigarette entre les lèvres.


Tomas s'était détendu, l'alcool aidant, et puis finalement, la soirée se passait bien. Il me rejoignit sur le canapé en soupirant. Nous échangeâmes un regard complice. Les mondanités n'étaient pas notre fort.

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