24/35 Don't stop me now [partie 1]

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2 novembre 2018


Je n'aurai pas cru possible de me sentir si paisible après les semaines que je venais de traverser. Il y a quarante jours, j'avais avorté. Et même si j'avais du mal à faire sortir le mot de ma bouche, je commençai à en assumer le geste.

    Tout s'était passé comme dans un monde irréel. Après l'intrusion de Daniel dans mon appartement, j'avais téléphoné à un planning familial qui m'avait donné un rendez-vous le lundi suivant. Une consultation médicale, quarante-huit heures de délai de rétractation, une deuxième consultation et la date de l'intervention programmée quelques jours plus tard. J'étais déjà à dix semaines, ce serait donc une opération chirurgicale.

    Daniel m'avait imposé sa présence lors de mon premier rendez-vous avec le médecin. Finalement, j'avais été rassurée de l'avoir avec moi quand je dus annoncer mon choix à voix haute.

    Mais je m'étais sentie affreusement coupable quand, au sortir de la clinique, il avait reçu un appel de sa mère qui lui souhaitait un joyeux anniversaire. J'avais complètement oublié. Et je m'étais mise à pleurer en pleine rue sans pouvoir me retenir. J'étais une redoutable machine à larmes depuis dix jours.

    Démuni, il m'avait simplement pris contre lui, le temps que je me calme. Je le voyais lutter contre des sentiments contradictoires :

–    Sarah, si tu veux changer d'avis, dis-le-moi.

–    Quoi ? Non, pas du tout... Ça n'a rien à voir. Je me sens juste conne.

–    Qu'est-ce que tu racontes ?

–    Je fais tout de travers. Je ne suis même pas capable de penser à quelqu'un d'autre que moi. J'ai oublié ton anniversaire.

–    En ce moment, tu as le droit de ne penser qu'à toi. Et puis, qu'est-ce qu'on s'en fout de mon anniversaire ?! D'habitude, je me bourre la gueule pour oublier que j'ai un an de plus. Alors franchement...

–    On peut se bourrer la gueule à deux si tu veux. Mais je risque d'avoir l'alcool triste, je crois.

    Il rit un peu et me serra contre lui.

–    Allez viens, je crois que c'est le bon jour pour regarder Friends en mangeant des pop-corn.


    Les jours suivants, je m'étais obligée à oublier ce qui était en train de m'arriver. J'avais un mémoire à rendre quinze jours plus tard. C'est certainement ce qui me fit tenir. Je me mis à travailler d'arrache-pied jours et nuits. Et malgré la fatigue et les nausées qui me réveillaient à cinq heures du matin, je réussis à concentrer toute mon énergie sur ce dossier de cent-cinquante pages, tapé frénétiquement sur mon ordinateur.

    Julie me fut d'un grand secours. Chaque soir après son stage qu'elle venait de commencer dans un centre de protection de l'enfance, elle débarquait chez Daniel où j'avais élu domicile, alors que ce dernier partait tous les trois jours pour différentes fashion week à travers l'Europe. Elle restait durant deux ou trois heures à corriger mes lignes.

    Je ne lui avais rien dit, mais elle comprit que quelque chose clochait. Pourtant, elle ne demanda rien. Je me libérai du secret après avoir été déposer mon mémoire imprimé et relié en trois exemplaires au secrétariat de ma faculté, le 28 septembre, une semaine jour pour jour après l'intervention. Elle m'avait pris dans ses bras et m'avait emmené manger une glace.

    Ça avait eu lieu un lundi matin à huit heures. Vingt minutes plus tard, j'avais été emmenée dans une salle de réveil. J'étais sonnée par les tranquillisants. A midi, je sortais de la clinique sur mes deux jambes et m'engouffrais dans le taxi que Daniel avait appelé, épuisée mais soulagée. De retour à l'appartement, je saignais un peu. J'en pleurais.


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