25 février 2019
Nous étions sortis du cabinet du psychiatre et n'osions pas échanger un mot. Son discours avait été neutre du début à la fin, ni rassurant, ni alarmiste. Il nous avait dit qu'il faudrait être attentif à son comportement, mais que c'était lui qui devrait faire le travail dans le cadre de son suivi psychologique. Il avait conclu que rien ne serait facile.
Alors que nous étions dans le couloir, je dis :
– On peut aller le voir ?
– Hum, oui, oui bien sûr, bafouilla Tomas.
Nous nous enquîmes auprès de l'accueil d'où il pouvait être. La même infirmière que tout à l'heure demanda à son collège à l'autre bout du couloir, qui demanda à une autre collègue qui passait par là et l'information revint jusqu'à nous de la même façon : – Oui, c'est ça. Monsieur est dans le jardin derrière le bâtiment. Nous acquiesçâmes et Tomas tourna la tête :
– Vas-y. Faut que j'appelle Rebecca. Je vous rejoins.
Je fis le tour du bâtiment par l'extérieur et je l'aperçus assis sur le banc d'une table de pique-nique en bois délavé, entre un buis taillé en boule et un rosier orné d'épines, en train de regarder, distrait, les voitures stationnées devant le jardin.
Je l'observai de loin. Il se tenait prostré, le cou rentré dans les épaules, les jambes tendues et les mains dans les poches de son jean. Sa mère était assise à ses côtés, penchée contre lui. Elle passait frénétiquement la main dans ses cheveux. Il acceptait le geste sans broncher.
La mère de famille, Claude, était de ces femmes qui impressionnent sans même ouvrir la bouche. La rencontre officielle avait eu lieu il y a longtemps maintenant, mais je me souvenais comme si c'était hier de cette force infinie et de cette determination à toute épreuve qu'elle avait dégagées au premier regard.
Daniel tenait tout d'elle : ses cheveux bruns, sa peau hâlée, ses yeux verts, et surtout ce magnétisme affolant. À chaque fois que nous nous étions croisés au détour d'un repas familial ou de visites inopinées qu'elle aimait faire à son deuxième fils, elle était toujours élégante, raffinée, et souriante.
Malgré ces airs bienveillants, j'avais tout de suite sentie de la réticence à mon égard. Je n'avais pas intérêt à faire un pas de travers avec son fils.
Pourtant, à les observer de loin, mère et fils tous les deux recroquevillés sur ce banc, plus aucune grandeur de gestes, plus aucun charisme, juste de la fragilité et des repères disparus.
Je décidai de m'approcher. Daniel tourna la tête et me vit. Il se leva aussitôt et marcha d'un pas traînant vers moi. Sa veste matelassée trop grande portée au-dessus de son sweat-shirt noir à capuche tombait sur ses épaules basses. C'était moi qui les avais mis quelques jours plus tôt dans un grand sac que Tomas était venu déposer ici.
Lorsqu'il fut en face de moi, les joues creuses et les yeux bleuis, je sentis le froid du vent sur ma peau :
– Tu m'as tellement fait peur...
– Je suis désolé... Pardonne-moi.
Et il me serra fort contre lui. Je le respirai. Quand nous nous détachâmes, il passa ses deux mains sur son visage et essuya les traces de larmes que j'avais sous les yeux. Je tentais de lui sourire. Il prit une longue inspiration :
– Sarah, je me souviens pas de ce qu'il s'est passé jeudi soir... Enfin, seulement des bribes... Mais je- je sais pas ce que je t'ai dit ou fait...
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Nos Folies ordinaires
General Fiction[Wattys2023 - Présélection] Ils s'aiment dès le début. Pas de suspense, mais un plongeon direct dans le quotidien de personnages qui s'avouent à demi-mot leurs sentiments au chapitre 20/35 de leur histoire. Puis les bonds dans le temps s'enchaînent...