33/35 Trois ans [partie 3]

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13 octobre 2020

Un soir, alors que j'avais rejoint l'appartement de Montmartre et que nous étions dans le canapé à commencer un nouvel épisode d'une série de gangsters anglais, je lui dis que je m'étais inscrite sur une application de rencontre. Je n'ajoutai rien de plus, mais il avait compris que cela avait été beaucoup plus loin. Il ne bougea pas d'un pouce, son visage se figea et ses yeux firent semblant de fixer l'écran en face de lui. Au bout d'un moment, il dit :

–    Tu ne m'aimes plus ?

–    J'ai l'impression que c'est toi qui ne m'aimes plus.

–    Comment tu peux croire ça ? s'exclama-t-il, son visage tournant aussitôt vers le mien.

(...)

    Une vue aérienne de Birmingham des années 20 se dessinait plan par plan, un homme sur un cheval noir traversait les docks souillés.

–    On ne partage presque plus rien...

–    C'est faux. Pourquoi tu dis ça ?

–    Parce que c'est ce que je ressens !

(...)

    Sur l'ordinateur, défilaient les images de cette bande de frères aux bérets gris qui faisaient leur vendetta personnelle pour venger la mort de l'un des leurs à grands coups de feu.

–    On est constamment en désaccord, on s'énerve mutuellement, on s'évite souvent, on sort avec d'autres gens pour ne pas se retrouver qu'à deux...

–    C'est une passade ça !

(...)

    Un nouvel épisode commençait et le générique résonnait en bruit de fond.

–    Ça fait plus de trois mois qu'on a pas couché ensemble, qu'on ne s'est même pas touché...

–    T'es distante Sarah ! Et tellement froide ! dit-il sidéré en se redressant.

–    Ne me fais pas passer pour la frigide.

–    C'est pas ce que je dis ! Mais tu me laisses même plus t'embrasser. À chaque fois, tu as quelque chose à faire, ou tu es occupée, ou tu es fatiguée. Je vais pas te forcer !

–    J'ai l'impression que tu me désires plus...

–    Bien sûr que si ! Je préférerais largement qu'on soit en train de faire l'amour en ce moment sur le canapé plutôt que d'avoir cette conversation !

–    C'est trop facile comme réponse, ça.

(...)

    Le chef de bande fumait encore des cigarettes, un verre de whisky à la main en fixant la caméra sur une musique des années 70.

–    Nos vies sont trop en décalage ! Toi, tu as ta carrière de mannequin et d'acteur et moi, je suis là avec ma vie normale.

–    Ça a jamais été un problème entre nous ! s'exclama-t-il en faisant les cents pas devant le canapé. Pourquoi ça le serait maintenant ?

–    Je ne suis pas comme toi, Daniel.

–    Et alors ? Je t'ai jamais demandé de l'être !

(...)

    Sur l'écran s'affichait déjà depuis longtemps le message : « Etes-vous encore en train de regarder Netflix ? »

–    Et tu veux arrêter pour ça ? Parce que, en ce moment, on se comprend plus très bien, souffla-t-il en faisant tomber sa tête entre ses mains. À la première difficulté, on arrête tout, c'est ça la solution ?

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