23/35 Défaut de mémoire [partie 2]

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9 septembre 2018


 Une grosse goutte rouge venait d'éclater sur le carrelage clair à mes pieds. Je touchai mon visage et sentis un liquide tiède coller à mes doigts juste sous mon nez, dégoulinant déjà sur mes lèvres. Daniel me tendit aussitôt un mouchoir d'un blanc immaculé. Je vacillai, mes jambes flanchèrent et il me rattrapa fermement la taille. Il me souleva presque pour me faire sortir de la salle de bain et m'allongea sur le canapé. Je voyais des étoiles. Je sentais ses mains prévenantes essuyer le sang qui me coulait du nez. Il passa doucement une serviette fraîche sur mon front. Il caressa lentement mes joues creusées. Il vint s'asseoir près de moi, soulevant mes jambes pour les poser sur les siennes. Il attendit que je reprenne mes esprits sans un mot.

La lumière du jour était de plus en plus franche dans la pièce quand Daniel dit :

– Faudrait que t'ailles voir un médecin, Sarah.

Je n'avais pas envie de parler, d'en parler. Je me redressai, ayant retrouvé un peu d'énergie.

Sarah...

– Je vais rentrer chez moi, Daniel.

Sarah, vraiment, tu dois prendre un rendez-vous chez un médecin.

– Et après quoi ? fulminai-je.

Il resta interdit.

– J'en sais rien et après quoi, Sarah.


Je me levai et m'habillai sous son regard lourd. Je récupérai mes affaires éparpillées dans l'appartement. Je me battis avec mes lacets de basket que je n'arrivais pas à nouer correctement. Plantée devant lui, je répétai :

– Je vais rentrer chez moi, j'ai besoin de calme.

– T'es sérieuse ? Tu veux vraiment partir maintenant ?

– Oui, laisse-moi rentrer s'il te plaît.

Il poussa un soupir et se leva, me précédant pour m'accompagner jusqu'à la porte. Avant de l'ouvrir, il me dit suppliant :

– Pars pas maintenant, s'il te plait, Sarah.

– Désolée, murmurai-je en sortant la tête baissée.


L'interphone de l'appartement sonnait. Je n'allai pas ouvrir. Mon portable sonnait également. Je le laissai trembler sur la table sans vérifier l'émetteur, me doutant qui en était à l'origine. Le même sûrement que ces soixante-seize appels manqués et cent vingt-quatre messages non lus depuis six jours.

J'étais étalée dans le canapé, l'ordinateur sur la table basse jonchée d'emballages de biscuits, de tasses de thé et de mouchoirs usagés, les épisodes d'une série d'adolescents américains dévergondés et stupides défilant par eux-mêmes sur l'écran. J'étais enfermée seule dans l'appartement depuis dimanche dernier. Aurore était en vacances en Normandie, une chance pour moi.

Ce jour-là, il faisait beau. Un rayon de soleil entrait par la porte-fenêtre que j'avais ouverte sur le salon ravagé. Je maudissais le soleil de me chauffer la peau agréablement. J'avais envie qu'il pleuve.

On s'était mis à toquer chez moi. Je soupirai. Il avait passé la porte du rez-de-chaussée de l'immeuble. Ce n'était pas difficile. La dernière fois aussi, il était arrivé jusqu'ici. Il m'avait glissé un mot sous la porte après être resté une demi-heure à frapper sans retenue : « Appelle-moi, ouvre-moi, fais ce que tu veux, mais donne-moi de tes nouvelles. Je m'inquiète Sarah ». Qu'est-ce qu'il aimait me laisser des petits mots comme ça. J'en avais toute une boite remplie posée à côté de mon lit, du premier au dernier, un « tu m'avais manquée » écrit dans mon carnet de notes pour mon mémoire.

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