14/35 Instant Insta

83 11 43
                                    


4 février 2018


– Et là, c'est qui ? demandai-je en lui indiquant une photo sur son téléphone.

Cela faisait une heure que nous glandions sur son balcon pour profiter de ce léger soleil d'hiver. J'avais volé son téléphone et trainais sur son compte Instagram. Je remontais le cours de sa vie d'aujourd'hui à des années en arrière. J'en profitais pour lui poser des questions parfois indiscrètes.

Les yeux fermés, le visage penché vers les rayons de soleil, il attrapa son téléphone d'une main distraite et jeta un coup d'oeil à la photo sur laquelle on le voyait assis au bord d'une piscine en train de sourire à l'objectif. Accroupi derrière lui, un garçon athlétique d'une vingtaine d'année lui tenait les épaules.

C'était la sixième image que je voyais de ce garçon dans cette période remontant à trois ans environ.

– Ah lui, c'est Samuel.

– Samuel... un ami à toi ? interrogeai-je.

– Pas vraiment un ami. C'est mon ex.

J'ouvris grand les yeux. Je ne m'y attendais pas.

– Ton ex ? ... Tu es sorti avec un mec ?

– Quoi ? Tu es choquée ? demanda-t-il en penchant la tête sur le côté.

– Euh, non, non pas du tout. Enfin, je ne m'étais jamais imaginé que... Enfin... Nan, mais je veux dire que je ne t'ai jamais vu qu'avec des filles depuis que l'on se connaît.

– Pourtant, mon dernier plan avec un gars remonte à l'été dernier quand on était en vacances ensemble, ajouta-t-il avec une fierté non dissimulée.

– Ah ok, dis-je prise au dépourvue.

– Je pensais que t'étais au courant.

– Non, je ne savais pas que tu étais bi.

– Pas vraiment bi. Je n'aime pas trop les étiquettes, mais si je devais choisir, je dirais plutôt que je suis pan.

– Paon ?

– Pansexuel. Je ne suis pas attiré par une fille ou un gars, mais par une personne.

– Je ne comprends pas très bien, dis-je curieuse.

– En gros, quand je suis avec quelqu'un, je ne suis pas avec elle en tant que fille ou avec lui en tant que garçon, mais parce que je trouve cette personne attirante, belle ou intelligente, qu'elle soit genrée ou non.

Je fronçai les sourcils, essayant de saisir la différence dans ce qu'il venait de me dire. J'avais un peu de mal, moi clairement hétéro qui ne m'étais jamais posée pareilles questions sur mes attirances toujours masculines.

– Donc moi, tu ne me vois pas comme une fille ? dis-je presque gênée.

– Non, ce n'est pas ça, Sarah. Je te vois au delà du fait que tu sois une fille.

Je ne savais si j'avais compris le sens de sa réponse, mais je fus touchée par la tendresse qu'il avait mis dans ses mots.


Je gardais ce moment suspendu avant d'enchérir gentiment :

– Mais dites-moi Daniel Haddad, vous êtes beau, talentueux et charismatique. Vous savez jouer derrière n'importe quel objectif, pour la mode ou le cinéma. Vous savez aussi danser ou cuisiner... Vous êtes plutôt drôle quand vous le voulez, parfois même intelligent ! Et en plus de tous ces talents, vous assumez totalement une sexualité ouverte et libérée. Mais que n'êtes-vous pas alors ?

– Heureux ?


Je restai interdite. Il avait baissé le visage et tapait nerveusement du pied. Je chuchotai son prénom. Il se racla la gorge :

– Excuse-moi. J'aurais pas dû te dire ça. C'était débile.

– Non, pas du tout Daniel.

Il continuait de fixer l'horizon.

– Pourquoi tu dis que tu es malheureux ? demandai-je doucement.

J'approchai ma main de sa joue. Il détourna la tête, le regard vide, quand j'aperçus que ses lèvres tremblaient. Son pied tapait violemment sur la rambarde du balcon.

– Je cours après quelque chose qui existe pas, dit-il les yeux humides. Y'a des fois..., j'ai l'impression de pas être là... vivant...

Je lui caressai doucement les cheveux. Il me laissa faire. Une goutte glissa sur sa joue, je l'essuyai avant qu'elle n'atteigne son menton.

– Excuse-moi, Sarah, reprit-il d'une voix cassée, je devrais pas dire ça... quand je suis avec toi. C'est stupide...

– Non, Dan, chuchotai-je mon visage contre le sien. Tu as le droit de te sentir comme ça. Même avec moi.

Je l'attirai contre moi. Il cacha sa tête au creux de mon cou. Je le sentis inspirer intensément en me serrant trop fort dans ses bras.

Nos Folies ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant