24/35 Don't stop me now [partie 2]

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2 novembre 2018

 Depuis la route ondoyante, c'était un plan-séquence qui défilait à travers la fenêtre de la voiture, une Fiat 500 rouge de location.

Nous avions quitté Lisbonne il y a deux jours pour en explorer les alentours. Après les plages aux gros grains de sable jaune et à l'océan agité, nous étions partis vers les terres intérieures plus paisibles.

Je posais distraitement ma main sur sa cuisse. Il changea de vitesse et fit glisser ses doigts sur mon poignet. Le soleil orangé de cette fin de journée d'automne venait jouer les clairs-obscurs sur la vallée tendre que nous traversions à vitesse régulière. Je faisais sauter mon doigt tendu de gros en petits cailloux qui fleurissaient partout dans le paysage. Ils avaient la face tant émoussée qu'ils en paraissaient tout doux.

Sur mon téléphone, je choisissais la musique qui résonnait dans l'habitacle sur les demandes du conducteur. Et puis je tournais la tête vers le lointain paisible. De part et d'autre de notre chemin, les chênes-lièges bi-centenaires dont on avait enlevé l'écorce rougissaient sur notre passage. Des petits groupes de moutons blancs paressaient dans leurs ombres, en train de savourer la douceur du soir tombant. J'apercevais à l'horizon ces grandes éoliennes qui battaient leurs ailes sereines.


Daniel se mit à chanter lorsque je sélectionnai une nouvelle musique qu'il aimait. Il monta le son et fit descendre sa fenêtre en riant. L'air frais plein d'odeurs d'herbes sèches et de terre s'engouffra dans la voiture en faisant voleter mes cheveux attachés.

– I'm burnin' through the sky, yeah / 200 degrees / That's why they call me Mister Fahrenheit / I'm travelling at the speed of light / I wanna make a supersonic man out of you... (1)

Il la connaissait par coeur et se mit à taper des mains en rythme sur le volant.

– Don't stop me now, 'cause I'm having a good time! (2)

Il chantait jusqu'à la dernière parole, montant faussement dans les aigus, en accélérant la vitesse de la voiture qui fusait dans les virages. Je riais avec lui, accrochant les paroles que je connaissais. J'enchaînai sur une chanson de Bruce Springsteen et il me décocha un regard rieur en s'enthousiasmant :

– Ouh, Dancing in the Dark, good choice! (3)

Il reprit de plus bel en chantant à tue-tête, passant sèchement les vitesses de la voiture pour lui donner plus de reprise. Le vent s'engloutit plus vite. Je me redressai sur mon siège.

– Tu peux mettre Can't Stop des Red Hot ? s'exclama-t-il.

Le soleil baissait devant nous. Il accéléra encore. Et il fit monter d'un cran encore le volume au point que je ne l'entendais même plus chanter les paroles.

– Dan, tu roules un peu vite là, dis-je en tournant le volume vers le bas.

– Mais nan, t'inquiète pas ! me lança-t-il en riant.

Et il tourna dans l'autre sens le bouton de l'autoradio. Il lâcha le volant et mima le rythme de batterie sur le tableau de bord. Il le rattrapa pour négocier un virage serré à droite.

Dans le rétroviseur, je voyais les bandes jaunes peintes sur la route défiler à toute vitesse. Il s'esclaffait en dansant presque sur son siège. Il faisait aller sa tête d'avant en arrière. Il me lançait des regards euphoriques.

– Ralentis un peu Dan, s'il te plaît...

– Oh putain, j'en ai une autre ! Mets Livin' on a prayer de Bon Jovi !

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