11/35 Ça sent le roussi [partie 2]

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10 Janvier 2017


 J'étais dans mon lit à fixer le plafond depuis une heure sans arriver à trouver le sommeil. Les paroles de Julie me revenaient inlassablement. J'avais terriblement envie d'envoyer un message à Daniel. Pour lui dire quoi, je ne savais pas. Mais je ne le fis pas, il était passé minuit et demi, Daniel devait être rentrer chez lui, peut-être en train de passer la porte de son appartement. J'essayai de l'imaginer jeter ses affaires dans un coin et aller prendre une douche avant de se coucher. Je voyais les vêtements que l'on enlève prestement, l'eau que l'on allume et le pommeau que l'on prend en main pour faire passer le jet sur le corps.

Et je stoppai net la vision en me disant que demain j'avais cours à huit heures et que je devais dormir. Je tournai dans le lit, parfaitement réveillée. J'attrapai mon téléphone, le glissai dans la poche avant de mon sweat-shirt que j'enfilai en vitesse et décidai d'aller aux toilettes, pour passer le temps.


Lorsque j'ouvris la porte de ma chambre, je fus assaillie par une puissante odeur âcre. Une épaisse fumée noire sortait de la cuisine. J'accourus. Je vis avec effroi d'énormes flammes oranges dévorer les murs. J'étouffai un cri. J'inspirai de la fumée épaisse. Je toussai violemment. Une fournaise m'entoura. J'étais tétanisée. Les flammes semblaient déjà avoir doublées de taille. Un quart de seconde plus tard, je repris possession de mon corps. Il fallait sortir de l'appartement !

Affolée, je trébuchai jusqu'à la porte de ma colocataire. J'ouvris en grand et je les vis, elle et sa copine dormir paisiblement dans le lit. Je criai leurs prénoms et tirai la couette violemment. Elles se réveillèrent en sursaut. Hagardes, elles me fixèrent sans comprendre. Je bêlai des explications confuses quand l'alarme incendie se mit à résonner en nous transperçant les tympans.

La copine d'Aurore, Alice, comprit. Aurore elle, était figée sur place, les deux mains sur les oreilles. Alice et moi la tirâmes par le bras. Nous nous précipitâmes, un t-shirt sur la bouche, penchées en avant, retenant notre respiration, vers la porte d'entrée. Nous l'ouvrîmes. L'appel d'air fit craquer la cuisine plus fort encore. Un instant de lucidité me fit balancer nos paires de chaussures et tirer sur des vestes accrochées au porte-manteau en sortant de l'appartement. Dans le couloir, nous nous écroulâmes toutes les trois en essayant de reprendre notre souffle. J'entendais encore le bruit des flammes.

Nos voisins, réveillés en sursaut par l'alarme, étaient déjà là. L'un deux partit décrocher l'extincteur du mur. Il se mirent au ras du sol et ils entrèrent. Ils revirent quelques secondes plus tard, en secouant la tête : ils avaient aspergé mais les fumées étaient fortes, ils avaient dû ressortir.

Nous dévalâmes l'escalier. Nous tapions contre les portes pour tirer du sommeil les derniers voisins endormis. Alors que nous passions l'entrée de l'immeuble, les sirènes des pompiers retentissaient déjà. Nous traversâmes la chaussée en courant. Un groupe de badauds nous récupéra et nous demanda si ça allait. Par chance, ils avaient vu les flammes à la fenêtre. Ils avaient appelé les pompiers il y a dix minutes déjà.

Le camion débarqua au milieu du trottoir. Une série de spectres équipés de la tête au pied en descendit et ils se mirent à l'ouvrage dans des gestes précis et maîtrisés.


Je perdis le fil. Je m'écroulai sur le sol, en proie à l'angoisse. Quelqu'un se pencha sur moi, me rassura et me fit m'allonger sur le bitume sale et froid.


Longtemps après, je repris conscience. Je vis que l'agitation s'était calmée. Des fenêtres de notre appartement, seule une épaisse fumée grise sortait des vitres éclatées par les contrastes de température. Un groupe était en train de sécuriser le bas de l'immeuble. L'entrée de la rue était bloquée par les voitures blanches de police et les camions rouges des pompiers. Quelques passants s'étaient regroupés, certains faisaient la circulation pour ceux qui trainaient tardivement dans le quartier.

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