9/35 Histoires de famille

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8 novembre 2017

– Attends recommence, je ne comprends rien !

– Alors, ma mère est franco-libanaise. Mon grand-père était libanais et ma grand-mère est française. Et mes grands-parents maternels sont partis vivre à Bristol quand ma mère était enfant. Mon père, lui, est anglais et il a grandi à Manchester.


Nous étions installés dans des fauteuils confortables depuis une heure à la table d'un bar calme à l'ambiance jazzy en ce mercredi soir au début du mois de novembre. Nous avions passé l'après-midi ensemble. Il m'avait proposé d'aller voir une expo de peintures modernes au Musée du Luxembourg. Comme à chaque fois que nous nous donnions des rendez-vous depuis un mois, j'arrivai avec autant d'excitation que d'appréhension.

La dernière fois que je l'avais vu, nous avions flâné au Parc de la Villette avant qu'il ne parte en déplacement pendant deux semaines. Gauchement, je lui avais demandé des nouvelles. Il n'avait pas répondu de suite, mais un soir, nous avions discuté pendant près de quatre heures par messages interposés. J'avais adoré voir les points de suspension apparaître précédents chacune de ses réponses.

Nous nous étions dit bonjour en nous embrassant au coin des lèvres, entre bise et baiser, et puis nous étions entrés dans le musée, un peu solennels. J'étais tendue d'être là dans ces salles aux plafonds hauts avec lui. Je lui avais parlé de mon goût pour l'art pictural du vingtième siècle et j'avais peur qu'il ne m'ait proposé l'exposition seulement pour me faire plaisir. Je ne l'imaginais pas grand adepte des galeries de musée et de ces ambiances feutrées et contemplatives, lui la fashion-victim du monde si exubérant de la mode. 

Pourtant, quand je lui demandai ce qu'il pensait, alors qu'il paraissait absorbé devant un polyptyque de femmes au jardin, il me répondit qu'il appréciait les dégradés colorés et les ambiances vaporeuses qui se dessinaient des silhouettes. Les postures des femmes lui rappelaient celles de Klimt ou des estampes japonaises. Sous mon haussement de sourcils, il reprit d'un ton faussement provocant : – Quoi ? Tu m'imaginais pas connaisseur d'arts ? J'ai peut-être pas le bac, mais je sais apprécier ce qui est beau ! Il me fit un clin d'oeil. Nous nous mîmes à commenter les tableaux en se touchant du coude.


Je sirotais mon verre de vin en reprenant mes questions. Je connaissais en partie l'histoire de sa famille, Tomas m'en avait déjà dépeint les contours. Mais j'avais envie d'entendre sa version. J'aimais entendre les accents dans sa voix.

– Jusque-là, je te suis. Donc tes parents se sont rencontrés en Angleterre ?

– Non, rit-il. Ils se sont rencontrés en France quand ils avaient une vingtaine d'années, à Lyon. Mon père finissait ses études de cuisine et ma mère était en échange scolaire pour son bac. Mais elle préférait traîner avec une bande de musiciens, et c'est grâce à eux qu'elle a rencontré mon père. À un concert ou un truc comme ça.

– Tomas m'avait dit que vous étiez nés en Angleterre ?

– Oui. Au bout de deux ans, mes parents sont retournés à Manchester.

– Qu'est-ce qu'ils ont fait là-bas ?

– C'est un peu des hippies des années 90 mes parents, tu sais, dit-il en haussant les épaules. Ils vivaient d'amour et d'eau fraîche. Ma mère bossait un peu dans une petite galerie d'art. Mon père a voulu ouvrir un restaurant. Et ils ont décidé de faire un gosse. Tomas est né en 93. Sauf que le resto de mon père a fait faillite. Et alors que Tom avait tout juste six mois, ma mère est de nouveau tombée enceinte. De moi, cette fois-ci... C'était pas le moment.

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