Rien Que l'Éternité

Ch 7 : Du vin pour attraper des mouches

Ayant fini de nourrir l'aveugle comme un enfant, Yuan Lie termina son dîner en silence. Qian Jingliu lui servit un verre de vin à son tour. Volontiers, le premier accepta le vin et le leva machinalement vers son invité, même si ce dernier ne voyait pas le signe de respect qui lui était rendu. Ensuite, il vida le verre dans un bol vide sans prendre la peine de cacher le geste devant l'aveugle et reposa la petite porcelaine sur la table.

« Vous ne buvez pas ? lui demanda Qian Jingliu en sirotant son nectar comme un dragon savourerait des perles.
— Plait-il ? » Yuan Lie se redressa sur sa chaise.

Un tic nerveux naquit au coin de ses lèvres avant de se dissiper.

« Jeune maître, vous ne buvez pas ? répéta l'invité.
— Si, si ! » répliqua Yuan Lie en attrapant la jarre pour servir une autre tournée.

Il eut soudain le pressentiment que Qian Jingliu pouvait savoir ce qu'il faisait, mais il balaya aussitôt cette pensée, sachant que c'était impossible. La malédiction qu'il portait était une marque maudite qui rendait aveugle à jamais, sans possibilité d'en guérir, sans antidote ni traitement pour retrouver la vue. Les stigmates permanents étaient une marque de honte pour quiconque les portaient, et bien sûr, elles étaient indélébiles. Même au-delà de la mort, les squelettes en gardaient encore les traces. Cette malédiction s'appelait Dédales Damnés.

Ils trinquèrent, puis, Yuan Lie se débarrassa de l'alcool en le jetant dans un autre des bols vidés de sa nourriture en versant le vin avec la plus grande prudence pour éviter de faire de bruit. Qian Jingliu réagit immédiatement, rétorquant d'un ton glacial :
«  Vous ne souhaitez pas m'accompagner ? Ma compagnie, vous déplaît-elle ?
— Non, non, bien sûr que non ! Jueye, que dites-vous là ? Votre compagnie ne me déplaît pas, bien au contraire, contesta Yuan Lie en parlant avec son cœur. Je viens de rencontrer l'un de mes héros, je suis si heureux que je pourrais mourir comblé ! »

Yuan Lie se sentit vraiment gauche. Non seulement Qian Jingliu avait compris qu'il ne buvait pas, mais en plus, il commençait réellement à douter que l'aveugle ne voyait rien du tout.

« Je ne sens pas l'odeur de l'alcool sur vous, ce qui me pousse à croire que vous ne buvez pas vos verres. Ne vous sentez pas obligé de boire si vous n'aimez pas l'alcool. Dites-le simplement. Contentez-vous de thé, cela me convient » siffla le Tigre entre ses dents.

Yuan Lie se morfondit, son visage se ternit comme la couleur d'une fleur qui se fane après avoir vécu le printemps. Malgré tout, il essaya une ultime tentative pour sauver la face. Rapidement, il trempa ses doigts dans l'alcool, ensuite, il se toucha le visage, le cou et frotta un peu sur ses vêtements. D'une manière éhontée, il tenta le tout pour le tout. Si Qian Jingliu se servait de son sens de l'odorat, alors il essayerait d'embrouiller son flair. S'il se fiait à son flair, Yuan Lie avait une chance.

« Mais non, mais non ! Je viens juste de finir mon verre ! dit-il en étirant son cou vers Qian Jingliu, espérant que l'arôme de l'alcool puisse le tromper. Tenez, resservez-vous !»

Soudain, l'aveugle saisit Yuan Lie par le col et le tira vers lui, reniflant son cou de près. Le jeune homme se figea sur place !

''Depuis quand Qian Jingliu est-il devenu aussi tactile !?'', s'exclama-t-il intérieurement.

Il ne s'attendait pas à ce que le Tigre veuille vraiment vérifier les choses à ce point-là ! Qian Jingliu était si près de lui que Yuan Lie entendit parfaitement le bruit d'une inspiration profonde sous son oreille et sentit l'air chaud de son souffle sur sa peau.

Avec un peu de mal à s'exprimer, Yuan Lie demanda, l'esprit confus, le souffle court :
« Qu'est-ce que tu fais, Jueye ?
— ... Je ne suis pas sûr, vous sentez bien l'alcool, mais... Il n'est pas dans votre souffle, répondit Qian Jingliu la tête toujours fourré sous le menton de Yuan Lie.
— Est-ce si important que je sente l'alcool ? demanda-t-il, intrigué.
— Je suis aveugle, mais je peux toujours sentir, répondit Qian Jingliu en relevant sa tête de sorte que ses paupières soient en face des lèvres de Yuan Lie.
— ...
— ... »