Rien Que l'Éternité

Ch 17 : Sur la route qui nous sépare

Ne voyant pas le temps passer en compagnie de ses amis et éméché pour la première fois par l'alcool qu'il avait pris, Yuan Lie retourna sous la forme de Sun Kaze dans la grande plaine de cerisiers, tout en gardant par précaution, une certaine distance du campement des Tigres endormis. En quelques instants, le géant se sépara en deux corps distincts et ne tenant pas très droits sur leurs jambes.

« Pars ! ordonna Yuan Lie à Kaze en fredonnant sur les mots. Viens... que si j't'apwelle ! »

Une étoile clignota et Kaze disparut dans l'ombre. Yuan Lie se tourna et se retourna plusieurs fois sur lui-même.

'' Woo ! Oouh !... Où dois-je aller ?'' fit-il en faisant quelques pas au hasard dans le noir.

Il était ivre et il le savait, alors il s'assit contre un arbre. Sa tête tournait, sa bouche était engourdie, sa respiration lourde et il se parlait constamment pour se persuader qu'il n'était pas si saoul. Yuan Lie était un cultivateur sans jiedan, mais il pouvait encore avoir accès à ses pouvoirs s'il le désirait. Il aurait facilement pu annuler l'effet de l'alcool dans son sang et se remettre debout tout de suite, mais Yuan Lie n'avait jamais été saoul de sa vie. Le sort contre l'alcool, il ne l'avait jamais appris et en vérité, l'idée même de l'annuler ne lui traversa pas l'esprit. Il pensa juste qu'il était bien là où il était. Personne ne le trouverait contre son arbre, ''Il sent bon, mon nouvel ami ! Je te prendrais avec moi quand je partirai !''

Mais on ne semblait pas vouloir le laisser tranquille. Des doigts glacés vinrent se poser sur ses joues, son front puis son cou, déclenchant des « ahs » et des soupirs heureux chez lui. Il avait si chaud et ces caresses rafraîchissantes lui firent un bien fou.

Qian Jingliu s'agenouilla devant lui, les sourcils froncés et renifla l'odeur de Yuan Lie en s'approchant de son visage. Le regard et l'expression du Tigre s'étaient chargés d'une colère sourde, tandis qu'il tira Yuan Lie dans ses bras.

« Où étais-tu ? murmura-t-il en chuchotant à son oreille. Je te cherche depuis cinq heures, tu n'étais plus là. Où étais-tu ? sa voix s'étrangla avec l'intonation d'un rugissement.
— P'tit Paquet et P'tit Ballot m'ont appelé ! raconta-t-il à demi endormi et trois-quarts ivre dans ses bras. Shixiong ! Ying-ge va être père ! Je suis si heureum... J'ai eu une sœur, moi aussi ! Oh ! Et Wang Fei aussi a une sœur ! Ta sœur, Qian Jingliu ! dit-il avant d'éclater de rire.
— Je vois... déclara Qian Jingliu avant de pousser un long soupir de soulagement. Ne refais plus jamais ça... J'ai eu si peur... Ne me laisse plus seul, ne t'en va pas, tu m'entends ? Je te l'interdis ! » Qian Jingliu serra Yuan Lie dans ses bras.

Yuan Lie riait encore mais il hocha la tête docilement. Sa tête endormie s'appuyait contre l'épaule du Tigre qui respirait le parfum de l'air marin et du feu de bois dans ses cheveux.

« Qu'as-tu bu ?
— Sakhhh... !!!
— Saké ?...Je vois » dit l'aveugle sans défroncer les sourcils.

Son regard montrait sa colère qui luisait dans la nuit comme les yeux d'un lynx. Il évacua alors sa contrariété en donnant un coup-de-poing sur le tronc contre lequel Yuan Lie s'était adossé plus tôt, faisant tomber une pluie de fleurs sur eux et depuis les arbres aux alentours. Il l'attira encore plus près de lui et posa son front contre le sien délicatement.

Les lèvres de l'aveugle tremblèrent légèrement alors qu'il se penchait sur le visage endormi du jeune homme ivre et insouciant. Il pourrait presque goûter le doux nectar de sa bouche, lorsque ses lèvres frôlèrent à peine celles de Yuan Lie. Le Tigre ressentit un élan brûlant qui irradia à travers son corps. Son cœur battait la chamade, mais il se redressa, refusant de céder à ses pulsions les plus profondes. Il s'efforça de respirer, conscient qu'il devait respecter le rythme de Yuan Lie qui venait tout juste de commencer à ouvrir son cœur. Il ne devait pas l'effrayer, au risque de le perdre encore. Il ne le supporterait pas.