Ch 21 : Entretien non-voilé

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La demeure de la famille Shui où séjournait Qian Jingliu ployait sous une lourde atmosphère pesante, jetant un air sinistre au lieu. Qian Jingliu, les trois jeunes disciples, ainsi que Yuan Lie en retrait derrière eux, se trouvaient avec le chef de clan Shui Wuyue qui les recevait autour d'un thé avant de passer dans la salle de banquet.

Yuan Lie ne sut pas dire si le chef de famille était triste à cause du deuil ou s'il était écrasé par le poids de la honte et du remords. L'homme avait le visage lisse d'un beau jade et une expression aussi mélancolique que la brume. Le deuil se portait en blanc, aussi, ressemblait-il à un pauvre ermite qui revenait d'une grotte sombre.

Ses invités lui avaient présenté leurs respects et bien qu'ils n'étaient pas insensibles à sa peine, cette visite du fils du duc de Yelang en personne n'était en rien une simple visite de courtoisie. L'heure des explications était venue pour Shui Wuyue.

« J'étais déjà en route pour Baiyue avec un cortège de mon clan quand l'accident s'est produit, commença Shui Wuyue. Le cortège devait arriver à Baiyue le jour même du vote. Nous avions fait plusieurs détours pour récupérer des chefs de villages et trois seigneurs de guerre avant de rejoindre un point de ralliement. Les seigneurs de guerre ne sont pas cultivateurs, mais ils représentaient une voix aux votes et ils voulaient faire savoir leur détermination à refuser la guerre. La Pluie de Purge est toujours présente dans nos mémoires, c'est encore comme si c'était arrivé hier. Ceux que j'ai rassemblés sous ma bannière, les chefs des grandes familles, les patriarches des sectes mineures, les seigneurs de guerre alliés, tous étaient opposés à cette guerre. Nos villages, nos prairies et nos champs ont été saccagés par l'armée de Yu Zhaocai et ses créatures. Ce monstre n'a pas hésité à utiliser nos enfants, même nos premiers-nés, comme hôtes pour ancrer des yao... Nombreux des nôtres pleurent encore leurs morts et ne se remettront jamais de ces événements tragiques.
— Qu'est-ce qui vous a détourné de votre trajectoire, chef de clan Shui ? demanda Qian Jingliu pour l'inviter à poursuivre.
— Nous étions partis depuis trois jours, relata ce dernier, le regard lointain. Nous venions d'arriver au point de ralliement quand un jeune garçon du village nous a interceptés en route. C'est là qu'il nous a informés d'un éboulement dans la montagne et de ma bien-aimée qui avait été ensevelie. Je n'ai pas réfléchi deux fois et je me suis immédiatement rendu sur les lieux avec mes hommes, où... nous avons retrouvé... ma douce Lune sous un amas de pierres et de boue. Malheureusement, il était déjà trop tard pour elle... Nous avons chassé le yaoyang.
— Avez-vous eu du mal à chasser ce yaoyang ? Il devait être assez puissant et difficile à purger. Il a causé tellement de dégâts sur une si longue distance. Quelle taille faisait-il ? » demanda Qian Jingliu d'une voix calme comme du velours, l'encourageant doucement à parler.

Le chef de clan parut étonné. Il devait se demander comment l'aveugle pouvait connaître l'ampleur des dégâts, mais il jeta un coup d'œil au valet au visage voilé qui se tenait derrière lui. Il comprit alors que ce devait être lui, les « yeux » du Tigre.

« C'était la pluie qui posait problème ce jour-là, Jueye Qian, c'était comme une pluie torrentielle déchaînée, une véritable tempête ! Le yaoyang atteignait la taille d'un homme bien bâti. Lorsque l'esprit est retourné à l'arbre, nous avons cherché à le chasser, mais nous n'avons pas pu brûler son arbre, alors je l'ai tranché avec mon épée. Jueye Qian, je vous demande pardon au nom de tout mon clan, d'avoir failli à mon devoir. Si ma présence avait été assurée, les choses auraient pu prendre une autre tournure, répondit Shui Wuyue en s'inclinant très bas devant Qian Jingliu.
— D'où venait ce jeune homme qui vous a averti ? demanda ce dernier sans broncher.
— C'est Petit Cheng, le voisin de mademoiselle Lune. Il l'aidait parfois à la récolte de racines et d'herbes sur la montagne. Ce jour-là, il l'accompagnait justement. Il nous a racontés qu'ils revenaient d'une récolte et qu'ils se dépêchaient de partir à cause de la pluie. Ils n'étaient pas encore arrivés au pied de la montagne lorsqu'une partie de la montagne s'est détachée. Tous deux ont tentés d'y échapper. Par chance, ils avaient pris des chevaux, mais seulement... lui seul a pu s'en sortir. Deux chevaux ne pouvaient pas passer sur les sentiers étroits... Mademoiselle Lune fut ensevelie par la boue et les rochers. Petit Cheng a pu s'échapper et à couru jusqu'ici, mais nous étions déjà partis. Alors, il a chevauché toute la journée et toute la nuit pour nous rattraper sur notre route et vous connaissez la suite, dit le chef tristement.
— Est-ce que Petit Cheng ou vos hommes ont vu quelque chose d'étrange ? Un Mo, un autre Yao ou même quelqu'un d'autre dans la montagne ?
— Non, répondit Shui Wuyue. Petit Cheng était dans un sale état, il n'a pas survécu longtemps après nous avoir trouvés. Il nous a assuré avant de mourir qu'il n'a fait que courir pour échapper à sa vie. Il a dit que tout s'était déroulé très vite et qu'il n'avait même pas vu de Yao. Je vous assure que nous avons inspecté toute la montagne, mais nous n'avons rien trouvé d'autres que le Yao de l'arbre.
— Que pouvez-vous me dire sur ce Yao ? Était-il connu avant cette apparition ?
— Non Jueye, assura le chef de clan. Nous avions des Yao avant la Pluie de Purge, ils sont encore là aujourd'hui grâce à l'Alliance qui les contrôle, mais celui-là, c'était bien la première fois que nous le voyons. »

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