Chapitre 29

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~Carlos~

  
Je suis sorti de l'hosto il y a deux jours. Mes parents ont voulu que je vienne chez eux, autant que je sorte la corde pour me pendre sur-le-champ.

Je n'ai voulu voir personne depuis mon accident, mis à part ma sœur, j'ai refusé toute autre visite. Voir dans les yeux de mes parents, de mon coach ou de mes coéquipiers, à quel point, ils sont désolés pour moi m'aurait achevé.

Je suis resté froid comme la pierre dès que j'ai commencé à sortir des vapes. À mon arrivée à l'hôpital, les docs m'ont shooté pour m'examiner, tant la douleur était forte. Lorsque je me suis réveillé dans ma chambre blanche et aseptisée, que j'ai compris que la lourdeur que je ressentais à ma jambe était due à un plâtre, mon monde s'est effondré pour de bon. J'ai réalisé que tout ce qui s'était produit était bien vrai, que ce n'était pas un cauchemar où je pouvais me réveiller.

Maintenant, je suis chez moi, assis sur mon canapé à regarder la télévision comme un vieux de quatre-vingt-dix ans. J'ai du mal à accepter la vue de ce maudit plâtre, un mois d'immobilisation pour suspicions de déchirure ligamentaire et fissure aux tendons. Je n'ai pas de diagnostics fiables étant donné que le jour de mon accident, ma cheville était si gonflée que l'échographie n'a pas réussi à tout montrer.

« On verra dans quatre semaines » a dit le doc . Plus simple à dire qu'à faire !

Je déteste être comme ça, à cause de cette merde qui m'encercle la jambe, dormir est un calvaire, se déplacer est un calvaire, prendre la douche est un calvaire, rester debout est un calvaire. Il n'y a aucun avantage.

Tout ce que je vois, c'est que toutes les petites choses simples à faire lorsqu'on est sur deux jambes deviennent une vraie difficulté.

Blanca a voulu emménager ici suite à mon refus d'aller habiter chez nos parents, j'ai dit non, je préfère mettre deux heures à mettre mon jean, et à me faire à manger en prenant le risque de tout mettre par terre, plutôt que de devenir un assisté.

La télévision me gonfle, je suis fatigué, et j'ai l'impression d'être dans une autre dimension tant les antidouleurs ont l'air de me shooter. Si les médocs apaisent ma jambe, ils sont inutiles en ce qui concerne mon cœur. Je souffre comme un damné, ça, mélangé à la colère, ça ne donne rien de bon.

À nouveau, Lando en a fait les frais, il n'aurait pas dû venir, je n'étais pas prêt à le voir, encore moins à lui parler dans l'état où j'étais.

Je sursaute en entendant la sonnerie de la porte d'entrée, je me demande qui peut venir me faire chier, j'ai dit à Blanca de prévenir que je ne voulais voir personne.

L'invité « surprise » n'a pas l'air de vouloir repartir. En soupirant, je coupe le son de la télé, prends délicatement ma jambe abîmée et la pose au sol pour pouvoir me lever.
 
—  J'arrive !
 
...Te mettre dehors parce que je suis de bonne humeur, et tu vas vite le constater.

J'ignore l'appel des béquilles qui me disent « Utilise-nous, ça t'évitera de te fracasser comme hier soir en sortant de la douche ». Je les ignore à nouveau et saute à cloche-pied jusqu'à ma porte d'entrée. Je suis torse nu, en short de foot parce qu'au moins, je ne galère pas à l'enfiler, j'ai la tête d'un mec qui entre en dépression en fait. Je fais « peur à voir » comme l'a dit ma mère.

Je mets plusieurs dizaines de secondes à trouver l'équilibre pour ouvrir la porte. Je me fige en découvrant mon coach, il a troqué son survêtement contre des habits civils. Les mains dans les poches, il a l'air très sérieux.
 
—  Salut, fils.
 
Sa voix est compatissante, mais heureusement, il ne me regarde pas avec pitié, sinon, je l'aurais congédié.
 
—  Bonjour, Coach.
 
—  Je peux entrer ?
 
J'aurais bien envie de lui dire non, mais c'est C, et on ne peut pas lui dire non. Je hoche la tête en m'écartant pour lui laisser la place d'entrer. Il est déjà venu ici plusieurs fois. C me regarde retourner à mon canapé, je le sens froncer les sourcils en me voyant faire, mais il ne dit rien. Je m'effondre contre le dossier en cuir et repose ma jambe sur le cousin que j'ai posé sur la table basse. C vient s'asseoir à son tour. Je ne lui accorde pas un regard, je ne peux pas.
 
—  Comment vas-tu ?
 
Je lui montre d'un signe de la main, ma jambe. Quelle question à la con, putain !
 
—  Je crois que ça se voit.
 
—  Carlos... soupire mon coach. Comment tu vas, toi ?
 
—  Mal, j'ai l'impression d'être une merde, d'avoir gâché ma saison et je flippe pour mon avenir professionnel. Mis à part ça, tout baigne.
 
Je suis sarcastique quand ça ne va pas, et aujourd'hui, ça ne va vraiment pas.
 
—  Désolé, coach, je suis chiant. C'est pour ça que je ne voulais voir personne, je renchéris.
 
Je me tourne vers lui, le visage dur et sans expression de C se détend, il hoche la tête en me répondant.
 
—  Je suis passé, quand même.
 
Je vois ça.
 
—  Et ta tête ?
 
—  Rien, un léger traumatisme, ce n'est rien comparé à ce que j'ai à la jambe.
 
Un silence pesant s'installe entre lui et moi, si on a toujours pu parler, j'ai l'impression que même le discours rassurant de mon coach ne pourra pas m'aider sur ce coup-là.
 
—  Je suis désolé, fils. Les gars pensent à toi, et espèrent te voir bientôt. Tout le monde te soutient.
 
Je hausse les épaules. S'ils veulent, on échange volontiers les rôles.
 
—  Ouais, moi aussi, je suis désolé ! je lâche, amèrement.
 
—  Tu as le droit d'être en colère.
 
Je me mets à rire, heureusement que j'ai le droit ! Il ne me reste plus que ça ! La colère et les regrets.
 
—  Je le suis, j'en veux à la Terre entière, C. Je vous en veux, j'en veux à mes coéquipiers, à moi-même, à...
 
Lando.
 
—  Lando, termine le coach.
 
Je me crispe en entendant le prénom de mon amant sortir de la bouche de mon mentor.
 
—  Non, pas à lui... spécialement.
 
Si, putain, je lui en veux, je lui en veux qu'on en soit arrivé là, qu'il m'ait obligé à prendre la décision de mettre fin à notre couple à cause de son silence, on ne serait pas malheureux, j'aurais toujours deux jambes pour courir, un amant et ma carrière. Je n'aurais jamais eu l'esprit occupé par des remords et la douleur de l'avoir perdu. Je n'aurais pas profité des quarante-cinq minutes sur le stade pour le regarder au lieu de me concentrer, parce qu'il me manque et que c'était ma seule occasion.

The Hidden Face [Carlando]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant