Chapitre 43

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~Lando~
 
  
Je frotte mécaniquement la vaisselle, la plonge pour la rincer et la donne à mon père qui l'essuie. L'ambiance est à tirer au couteau, il ne m'adresse pas la parole et j'estime ne rien avoir à dire, donc on fait comme si l'autre n'existait pas. Mais ça commence doucement à m'énerver, je ne sais pas ce qu'il me reproche cette fois encore, mais étant donné qu'il ne m'a pas adressé la parole depuis « l'agression », j'imagine que c'est en rapport avec ça. Pourtant, je n'ai rien fait de mal, à moins que...
 
—  C'est ça le problème ? je demande en laissant retomber l'assiette dans le bac. Tu me reproches d'avoir avoué mon homosexualité !
 
Mon père cesse tout mouvement, ses yeux se plissent comme s'il ne m'avait pas bien compris.
 
—  Je te l'ai déjà dit que ce n'était pas bon pour ta carrière mais ce qui est fait est fait.
 
—  Alors qu'est-ce qu'il y a ?
 
Il soupire en s'essuyant les mains et se tourne vers moi.
 
—  Tu aurais pu mourir, dit-il en baissant les yeux.
 
Je ne dis rien, je n'envisage pas les choses de cette façon, qu'il pense à ça alors que ce n'était qu'une minable agression.
 
—  Quand je t'ai vu à l'hôpital, j'ai cru devenir fou. Jamais toi ou ton frère, je ne vous ai jamais vu dans cet état et... j'ai eu peur. Peur qu'un jour ce soit pire, que tu ne t'en relèves pas.
 
Je savais que ma mère était émotive et facilement impressionnable, surtout avec deux gouttes de sang, mais lui, je ne l'aurais jamais cru. Même enfant, quand on se blessait ce n'était jamais grave pour lui, des trucs de gosses normaux. Mais là, il a vraiment l'air d'avoir peur. Il s'appuie sur le rebord de l'évier et baisse la tête un instant comme si tout devenait trop lourd pour lui.
 
—  Papa...
 
—  Tu sais ce que j'ai pensé ? me coupe-t-il. Quand je t'ai vu comme ça, je me suis dit que si tu ne devais pas t'en sortir, tu ne saurais jamais à quel point je suis fier de toi.
 
Je m'appuie à mon tour contre l'évier, avec ces dernières paroles qui tournent en boucle dans ma tête en espérant qu'elles soient bien réelles, que c'est vraiment ce qu'il a dit et que je ne suis pas victime de fantasme. Mon père relève la tête et me regarde gravement, comme si l'heure était solennelle, avant de me sourire. Ma poitrine se gonfle, j'ai tellement voulu entendre ces mots venants de lui, tout en sachant que ce serait une vérité qu'il ne me dirait jamais seulement pour la moindre bonne action que je pourrais faire. Et là, qu'il le dise maintenant, après tout ça, après tout ce qui a changé, ne peut pas me rendre plus heureux. Mon père s'approche de moi et me prend dans ses bras, je ne résiste pas, et même je laisse sortir tout ce que je retiens depuis ce foutu soir, les larmes coulent et je me fais l'effet d'un petit garçon. Mon père s'éloigne de moi, mais laisse ses mains sur mes épaules, ses yeux brillent aussi, il est ému.
 
—  On n'a jamais vraiment été sur la même longueur d'onde toi et moi. Je sais que j'aurais voulu autre chose pour toi, que tu m'écoutes et reste à Manchester pour devenir la star que tu aurais pu être. Mais, ce que tu as fait, dans ta vie personnelle comme dans ta carrière Lando, tes choix qu'ils soient bons ou mauvais ont fait de toi l'homme courageux que tu es maintenant. Et ça, j'en suis fier, crois-moi.
 
Je baisse les yeux. En ce moment, je ne suis pas courageux, je serais même lâche, que ce soit avec cette agression, Carlos ou même l'équipe. L'entraînement a repris et C met les bouchées doubles. On est tous concentrés sur les matchs à venir et à gagner, si on ne veut pas s'attirer les foudres des dirigeants, on n'a pas le choix. L'équipe va bien, certains tirent toujours la tête et je prends toujours ma douche seul. Mais pour le jeu, on est présent et c'est tout ce qui importe.

Cependant, je n'ai pas de nouvelles de Carlos. Rien, pas même un message pour me dire que tout va bien. Je me dis que si c'était le contraire, je serais informé par Blanca au moins, mais je m'inquiète pour lui. Pourtant, je ne fais aucun pas vers lui, je l'attends seulement, je respecte sa volonté même si je meurs d'envie d'aller le voir, je lutte parce que c'est ce qu'il lui faut.

En attendant j'ai besoin de lui, alors que j'essaye de sortir ces conneries de ma tête, que les cauchemars cessent et que tout ça reste un mauvais souvenir, mais ça ne fonctionne pas, et je ne sais pas comment faire pour que tout redevienne comme avant.

Mon père relève mon visage rempli de larmes, je me fais pitié à pleurer comme ça.
 
—  Qu'est-ce qu'il y a, Lando ?
 
—  Je n'ai rien fait, dis-je ne cessant de pleurer comme une merde. Rien qui puisse éviter les coups, j'ai essayé de me défendre, mais je n'y suis pas arrivé et après, j'ai baissé les bras.
 
Je ferme les yeux un instant. Les images reviennent ; j'essaye de faire changer le cours des choses, mais rien n'y fait, à la fin, c'est toujours moi la victime.
 
—  Ils étaient quatre, Lando, tu voulais faire quoi contre quatre mecs ? Te faire tuer ?
 
—  Je ne sais pas ce que j'aurais pu faire, mais je ne veux pas être ce mec-là, celui qui subit ça alors que je n'ai rien fait pour ça. Je n'arrête pas de me demander pourquoi ? Pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? J'ai fait mon match, j'ai bien joué, alors pourquoi ? Parce que je suis homo ! Bordel, non ! Je ne veux pas croire qu'on puisse faire ça, juste parce que je suis moi !
 
Mon père me regarde durement, je suis prêt à exploser, je ne m'étais pas encore rendu compte à quel point cette situation me rendait malade. Je sentais la colère en moi pour les coups, pour m'être laissé faire, mais pas pour l'injustice.
 
—  C'est injuste...
 
—  Lando, je suis désolé, dit mon père doucement comme si j'allais craquer.
 
—  Ne le sois pas, rien n'est de ta faute.
 
Il m'attrape les épaules et me secoue violemment.
 
—  Ne va pas imaginer que c'est de ta faute, Lando ! C'est eux, pas toi. Toi, tu es la victime dans cette histoire et tu n'as rien fait pour mériter ça.
 
—  Pourtant, c'est bien ce que tu m'as dit, quand j'ai annoncé que j'étais gay.
 
—  Non. Non, je ne t'ai jamais dit que tu cherchais à te faire tabasser, juste que ta carrière en pâtirait. Comment peux-tu dire ça ?
 
Je m'approche de la table et me laisse tomber sur une chaise, en levant la tête, je vois ma mère à la porte de la cuisine, elle pleure. Je suis perdu, est-ce que j'ai voulu ça ? Est-ce qu'en révélant mon homosexualité, je ne m'attendais pas à ce genre de réaction ? Si peut-être, je ne sais plus en fait, tout est flou, à présent. Ma mère s'approche de moi et pose doucement ses mains sur mon visage.
 
—  Ne pense jamais que c'est de ta faute, Lando. Tu ne peux pas changer les gens et leur cruauté, mais ce que tu es ne devrait jamais engendrer la violence. Tu es toi, et si les autres ne l'acceptent pas, tant pis pour eux. Mais Lando, jamais on ne te reprochera d'avoir voulu vivre libre.
 
Je soupire, je sais tout ça. Comme je sais aussi que dans le monde dans lequel j'évolue, annoncer qu'on est gay, c'est tendre le bâton pour se faire battre. J'assume mon choix, j'assume ce que je suis, mais j'ai mal à la pensée que peut-être j'aurais dû réfléchir plus avant d'agir. Prendre en compte les autres et pas uniquement moi, je ne l'ai pas fait, j'en paie le prix.
 
—  Je sais, maman, je sais tout ça, mais je crois que si j'avais réfléchis, je n'aurais pas...
 
—  Non, dans un monde normal, tu n'aurais même pas à annoncer ça à la presse comme si c'était exceptionnel et que ça changeait ton talent. Ta mère a raison, tu es ce que tu es et tant pis pour les autres, tu n'as pas à t'en vouloir pour ça.
 
Il s'approche de moi, à côté de ma mère, je crois qu'on n'a jamais vraiment discuté de ça, tous les trois et savoir qu'ils sont là, qu'ils me soutiennent malgré tout me fait du bien.
 
—  Et puis regarde Carlos à présent. Je crois que ce que tu as fait lui a fait du bien.
 
Je souris. Oui, je crois aussi.

Pour lui, je ne regrette pas, mais l'attendre devient un supplice. J'ai besoin de Carlos, de savoir que tout ça n'est pas vain même si ce n'est pas pour lui, mais plus grâce à lui que je l'ai fait. Il me manque terriblement.

The Hidden Face [Carlando]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant