De la fenêtre de la bibliothèque, Absinthe observait la scène qui se déroulait sur le parking. De l'endroit où il se trouvait, il ne pouvait pas voir exactement ce qui se passait dans le camion, mais d'après les réactions des enfants et les vibrations qu'il sentait palpiter dans l'air, il pouvait aisément deviner de quoi il retournait. Aujourd'hui, il était sous la surveillance de deux enfants du musée. Un garçon avec un grand nez et un autre avec des cicatrices dans le cou qui, dans son souvenir, s'appelait Cameron. Ils se débrouillaient pour l'avoir toujours à l'œil, mais gardaient leurs distances. Il était venu chercher un livre et puis le bruit, dehors, avait attiré son attention. Un des siens se trouvait là-dessous. Une femme. Du moins, s'y était trouvée car il sentait que sa lumière s'était éteinte. Ses geignements incessants avaient cessé de résonner dans sa tête. Ils étaient devenus super forts et puis... pouf.
Plus rien.- Papa ?
Il se détourna de la fenêtre et découvrit son trésor difforme, sa fille chérie née... différente. Elle contournait l'immense table qui occupait le centre de la pièce et où étaient assis ses gardes du corps, qui avaient autant l'air de s'ennuyer ferme que de crever de trouille.
Son bébé. Elle se jeta à son cou et ils s'enlacèrent. Elle pleurait.- Papa. Ils vont te faire du mal.
- Mais non, répondit Absinthe, inondé de bonheur. Je souffre déjà.
- Je l'ai vue. Dans le camion. J'ai vu ce qu'ils lui ont fait. Ils vont te faire la même chose.
- Il faut que je les aide, dit-il en la tenant à bout de bras, face à lui. Je n'ai pas le choix. Tu comprends ? Je viens du grand vert et je sens déjà que ça m'échappe. Le sang monte. Le bon sang va chasser le mauvais. Abbezzatti sort la tête de l'eau pendant qu'Absinthe plonge.
- J'aimerais comprendre, papa. Mais j'ai rien compris. Tout ce que je sais, c'est que j'ai besoin de toi.
- Dana ce cas, laisse-moi les aider. Je ne veux pas retourner dans le grand vert, je ne veux pas retourner dans les étoiles. Mon unique désir, c'était d'être heureux ici. Tu vois ? Je voulais seulement vivre. Cependant, je n'ai jamais eu la force de supporter la solitude. Je suis désolé. Les idées sont là, mais mon cerveau est lisse. Tellement lisse que les idées n'accrochent pas. Dans le grand vert, avant tout ça, je voulais coloniser les singes. Les abbayes, les abeilles et les puces... ce sont mes amis. J'ai jamais voulu les tuer.
- Les abbayes ?
- Abbayes, abeilles, babouins, buffles. Les bêtes. Les bêtes du grand vert. J'ai jamais voulu leur faire de mal. Je voulais juste m'en servir pour faire un tour. Une chevauchée fantastique. Quand j'étais là-bas.
- Où ça ? Dans la jungle ? En Amérique du Sud ? Mais enfin, papa, tu n'est pas resté si longtemps que ça. Tu t'égares.
- J'y ai passé cent mille ans. Pas moi, Mark Abbezzatti, mais cette chose que je porte en moi. Tu vois ? La bébête, chérie. La maladie. Elle vivait là-bas, passant d'une bête à une autre pour gravir les échelons du règne animal. D'abord les insectes, puis les puces, les chauves-souris, les singes et enfin les hommes et les femmes. Finalement, elle avait trouvé les êtres humains. Elle ne voulait pas leur faire de mal. Simplement vivre. Jamais nous n'avons voulu les pervertir ou les rendre malades. Honnêtement, ça n'a jamais été mon intention. Mais je sens le grand vert qui meurt à petit feu, les arbres qui perdent leurs feuilles, mon second, mon troisième, mon quatrième chez-moi. Maintenant, c'est ici chez moi, mais ma maison brûle. Tu vois ? Ou toujours pas ?
- À vrai dire, pas très bien. Parfois tu parles comme si tu étais deux personnes à la fois.
- Pas deux, dit Absinthe. Deux millions. Il y a moi, ton père, Mark Abbezzatti, et les autres. Les bébêtes dans mes tuyaux, les étoiles en moi, une constellation. Un univers. Je suis branché. Ils étaient forts, mais ils faiblissent. Ils peuvent être battus, à condition toutefois qu'on le protège, lui. Et aussi les autres.
- Qui, lui ? Qui faut-il protéger ?
- Le garçon, le djinn, le golden boy, l'auguste.
- Shōyō ?
- Exact. Il les effraie. Ils vont essayer de l'arrêter, de le tuer. Parce que son sang est bon. Et il n'est pas tout seul. Pas ici. Pas même près d'ici. Mais il y en a d'autres. Il faut les sauver, tu vois ? Les protéger. Pour que nous puissions nous servir de leur bon sang. Brigade de tribord pour étoile morte...
- Quoi ?
- J'ai été une étoile. J'ai été un dieu. Ils me sacrifiaient. Je vivais dans un palais. Un palais sans lumière. C'était mon monde. Après avoir quitté le grand vert, forcément... Je suis allé au palais des ténèbres. Ils m'ont donné à manger ce qu'il fallait. Seul le garçon est venu, pas l'enfant d'or, non, le fou, le bouffon. Il a allumé la lumière. Il m'a montré que je ne vivais pas dans un palais, mais dans une prison. Ils me nourrissaient avec des restes en me disant que c'était de l'ambroisie et du nectar. Ce n'en était pas. C'étaient des enfants. J'avais besoin de ce qu'ils avaient en eux.
- Papa, non. Je ne veux pas entendre ça. Tu t'es mal comporté, mais je ne veux pas en entendre parler. Ils m'ont raconté comment ils t'avaient trouvé, sous terre et comment le copain de Shōyō, Tobio, t'avait sauvé. Fais-en une histoire gaie, s'il te plaît, papa, avec une fin heureuse.
Absinthe éclata de rire.
- Ils ont pas compris, dit-il, hilare. Ils se sont trompés. Celui qu'ils ont essayé de sacrifier, c'était pas le bon. Ha, ha, ha ! Les étoiles les appelaient. Le cri a retenti et ils l'ont mal interpréter. Le garçon là-bas, celui qui donnait les ordres, il a la bestiole en lui. Il est à mi-chemin des étoiles. Tu verras ! Tu verras ce que je te dis. Mais il n'écoute pas correctement. Il ne m'a pas envoyé l'enfant d'or. Il m'a envoyé le fou, plus fou encore que moi. Je voulais tellement le croquer... J'avais si faim...
- Papa, arrête !
- Ma petite chérie. Mon ange. Tu es née avec un handicape, mais tu es toujours ma petite fille. J'aurais dû t'aimer. J'aurais dû te sauver. Au lieu de te protéger, je suis devenu l'un d'eux. J'ai laissé pénétrer le vert, les bestioles, les abeilles et les étoiles sont entrées en moi jusqu'à me rendre dément. Je suis devenu Absinthe, l'étoile empoisonnée, prête à ensemencer la terre de mauvais sang, prête à noyer le monde. Je suis devenu Green Man, le Géant vert. Et le Géant vert peut détruire tout le monde ou sauver tout le monde, à la seule condition de m'inoculer le sang du garçon. Alors Green Man sauvera le monde.
- Non, papa. Ils vont te tuer.
- Je mérite la mort. J'en ai tué tellement. Tellement d'enfants. Dans mon palais-prison souterrain, mon deuxième chez-moi sombre et ténébreux. Et je t'ai abandonnée. Ma petite fille, la prunelle de mes yeux. Heureusement, tu es plus forte que tu en as l'air. N'est-ce pas ? Regarde-toi. Tu es mon ange. Combien de frères et sœurs as-tu de par le monde ? Les enfants du vert. Mes enfants. Je vais le faire. Pour le bien de tous les enfants du monde. Je vais faire en sorte que le sang soit bon et qu'il chasse le mauvais. Tu verras.
- Et ça te tuera ?
- Ça, ma chérie, je l'ignore. Mais je dois tenter le coup.
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ENEMY Tome 5 : La fin
FanfictionNishinoya découvre que l'armée de Saint Georges se dirige vers le cœur de Tokyo. Il doit à tout prix convaincre les enfants de s'unir s'ils veulent survivre : la bataille finale s'annonce sanglante. Personne n'en sortira indemne...