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  Shōyō était bien trop occupé à esquiver les coups pour se soucier de ce que faisaient les autres. Entièrement cerné d'adultes armés de bric et de broc, il ne cessait de se baisser et de rompre pour échapper aux amples mouvements de bras et aux assauts qu'ils lançaient, heureusement pour lui, au petit bonheur la chance. Il avait deux atouts : sa taille et sa vitesse. D'ailleurs, la plupart des adultes étaient à peine conscients qu'il était là, à se tortiller entre leurs pattes. Ils se déplaçaient lourdement, en tanguant d'un pied sur l'autre, se cognant les uns contre les autres, tel un troupeau de vaches regroupés dans le coin d'un pré. Le père vêtu du maillot de Manchester United était le seul qui semblait posséder un tant soit peu d'intelligence. De toute évidence, c'était lui qui commandait. Les autres n'étaient là que pour exécuter ses ordres. Tenant dans chaque main une pique en métal à la pointe affûtée, il les agitait dans l'air en faisant de grands moulinets et les cognait l'une contre l'autre, tel un bambin surexcité dans un bac à sable.

  Shōyō n'essayait même pas de porter des coups. Sa lance ne lui servait qu'à se défendre, à repousser tous ceux qui se faisaient trop menaçants. Que pouvait-il faire de plus ? Il n'avait pas la force de se battre. Il voulait simplement comprendre ce qui était arrivé à Zohra et à la Grenouille. Dans la confusion générale, il avait été séparé de Tobio, mais il ne se faisait guère de soucis pour lui. Tobio était un dur à cuire, un survivant. Il avait longtemps vécu tout seul dans la rue. Il savait se débrouiller pendant une bagarre.
  Shōyō se fraya un chemin entre deux mères, l'une d'elle vêtue de ce qui ressemblait aux oripeaux d'une robe de mariée, et il se retrouva dans un endroit plus dégagé où la cohue était un peu moins dense. C'est là qu'il découvrit Zohra, agenouillée auprès de son frère, étendu par terre, sur le dos. Immobile. Arc-boutée au-dessus de la Grenouille, Zohra faisait rempart de son corps contre trois loqueteuses décharnées qui donnaient des coups de griffes pour arracher le petit à sa sœur.
  Le sang de Shōyō ne fit qu'un tour. Oubliant les appréhensions concernant sa taille ou sa faiblesse, il chargea et, d'un coup de lance, atteignit l'une des mères au cou. Il n'avait pas réarmé que Tobio avait bondi à son côté.

- Chiche-kebab, Jeronimo, Mémé Brochette ! cria-t-il, tuant net la deuxième assaillante.

  Ensuite, tous deux se tournèrent vers la troisième qui, ayant compris ce qui se passait, se cabra face à eux, prête à bondir, les noyant dans les relents d'un rot pestilentiel. Grimaçante, elle tira la langue : une muqueuse énorme, déformée par les furoncles.

- Par la sainte hallebarde des gardes suisses, je ne vois qu'une solution, l'amputation ! hurla Tobio en se précipitant.

  Sans réfléchir, Shōyō se joignit à l'assaut et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la mère mordit la poussière, Shōyō la lardant encore et encore avec sa lance.

- On les a eues, dit Tobio. Ça tombe comme des mouches. Restons groupir. Je surveilles tes arrières...

  En un éclair, Wiki et Arthur furent là, aussi inséparables que Shōyō et Tobio. Shōyō examina la Grenouille. Il était salement blessé mais, Dieu merci, toujours en vie. Sous son petit corps, une grosse flaque écarlate grossissait à vue d'œil. Il était très pâle. Il tremblait. Ses lèvres bougeaient, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Pleurant à chaudes larmes, totalement oublieuse de la bataille qui faisait rage autour d'elle, Zohra faisait de son mieux pour le réconforter.

- Ça va aller, mon trésor. Ça va aller, ma Grenouille. Je suis là. Près de toi. Jamais je ne t'abandonnerai.

  C'est alors que les adultes revinrent à la charge, emmenés par le type au maillot de foot. Tadashi et les autres prirent position aux côtés de Shōyō et de Tobio pour former un cercle protecteur autour de la Grenouille. Malgré leurs efforts, ils ne pouvaient guère faire plus que repousser les plus entreprenants.

ENEMY Tome 5 : La fin Où les histoires vivent. Découvrez maintenant