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Durant quelques instants, la pluie de projectiles occulta presque entièrement le ciel. Akaashi n'avait jamais rien vu de tel. Il avait crié : « Feu à volonté ! Tirez ! » Instantanément, son unité d'artillerie, déployée le long des barricades, avait mis l'ordre à exécution.
D'abord les archers.
Le bruit des cordes qui se détendaient d'un coup, le sifflement des flèches, le bourdonnement des plumes d'empennage durant le vol, tout se mélangeait en un seul et même soupir, comme si les enfants avaient retenu leur souffle et que, brutalement, ils le reprenaient tous en même temps.
On avait lancé assez de flèches pour assombrir le ciel. Elles avaient décrit une longue parabole, au sommet de laquelle elles avaient paru s'arrêter un instant, comme en apesanteur, avant d'entamer leur inexorable déclin et de s'abattre sur les premiers rangs ennemis.

En tête, menant les troupes, se trouvaient les derniers représentants de la famille royale, qu'Ushijima maintenait captifs au palais. Un rang décrépit, vêtu de guenilles crasseuses dans lesquelles on reconnaissait les vestiges de robes du soir et d'uniformes d'apparat, flottant au vent, comme punaisés à des squelettes. Une mère avait encore le front ceint d'une tiare, qui avait scintillé au soleil.
Akaashi se souvenait des délires fumeux de Ushijima, qui envisageait d'utiliser cette poignée d'aristos décrépits pour asseoir son autorité sur Tokyo. En faire les figures de proue de son nouveau régime.
Sa propre famille royale.
Eh bien, ils avaient été les premiers à mordre la poussière. Le temps d'un battement de cils, ils étaient passés de vie à trépas. Le vague sourire que certains affichaient une seconde plus tôt, l'allure altière... effacés à jamais. Les flèches s'étaient abattues sur eux et les avaient réduits à néant. Les crevards qui suivaient avaient piétiné leurs corps, les mélangeant à la glaise.

Et les projectiles continuaient de pleuvoir. Akaashi n'imaginait pas que quiconque puisse survivre à cette attaque. Pourtant ils continuaient d'avancer.
Avec une choquante rapidité, les archers se trouvèrent à court de munitions.
Les javelots prirent le relais.
Les claquements secs semblables à des battements d'ailes qui accompagnaient les tirs de flèches furent remplacés par les grognements des lanceurs de javelots et par les coups sourds avec lesquels leurs armes se fichaient dans leurs cibles.
Et ils avançaient. Toujours plus près. Jusqu'à ce qu'on aperçoive clairement leurs visages.
Après les javelots, vinrent les lance-pierres et les frondes, Akaashi parmi eux. Placer le projectile dans la poche, tendre l'élastique et lâcher. Une pluie de billes de plomb, de boulons et de cailloux.

L'ennemi n'était plus qu'à quelques dizaines de mètres, à portée de jet. Les enfants lançaient tout ce qui leur tombait sous la main... des bouts de bois, des tiges métalliques, des gravats... n'importe quoi du moment que c'était pointu ou assez lourd pour blesser.
Jusqu'à ce que leurs mains ne tombent plus sur rien.
Ce tir d'artillerie avait-il fait une différence ? Certes, Akaashi avait vu nombre de crevards tomber. Mais ceux qui se trouvaient derrière les avaient piétinés sans état d'âme et avaient continué d'avancer sans peur. C'est cela qui en faisait des ennemis aussi redoutables. Ils progressaient contre vents et marées, sans se soucier le moins du monde du déluge de projectiles qui s'abattait sur eux. Une armée normale aurait sans doute rompu les rangs, battu en retraite, fui face à cette grêle mortelle. Mais pas eux. Quoi qu'il arrive, ils continueraient d'avancer. Akaashi savait aussi que la situation allait changer du tout au tout dès que les pertes commenceraient à s'équilibrer et que les premiers enfants seraient fauchés, ce qui n'allait certainement pas tarder - là, pour le coup, il se pouvait très bien qu'il y ait des défections et que certains s'enfuient en courant.

L'ennemi était aux barricades. Et il poussait, grimpait, essayait d'escalader, avec un entêtement et une obstination s'apparentant au crétinisme le plus profond. Les premiers rangs s'empalaient sur les piques de bois que Kenji avait fait planter dans le sol, avec pour seul effet que, par leur poussée, ceux qui se trouvaient derrière les embrochaient plus profondément.
Akaashi donna l'ordre à ses troupes de reculer. Certains de ses soldats possédaient des armes idoines pour le combat rapproché, mais pas tous. À moins de trouver d'autres munitions, ceux-là n'affronteraient plus l'ennemi directement.
Kenji leur avait assigné une autre mission : évacuer les morts et les blessés.

ENEMY Tome 5 : La fin Où les histoires vivent. Découvrez maintenant