Ils avaient convergé des quatre points cardinaux. D'abord, il les avait entendus vrombir dans son crâne, pépier, couiner, leur tapage devenant de plus en plus fort à mesure qu'ils approchaient, jusqu'à se fondre en un long rugissement si puissant qu'il l'avait rendu complètement sourd. Il n'entendait plus rien. Que le silence. Soudain il avait les idées claires, tels des poissons rouges nageant dans un bocal tout propre.
C'était comme s'il les avalait tous, comme s'il s'en nourrissait, comme si c'était des hamburgers, qui descendaient dans son œsophage en rangs serrés, un grand sourire aux lèvres et lui s'empiffrait, bâfrait tel un obèse boulimique découvrant que le buffet est à volonté. « J'ai faim ! » chantait-il. À force de se gaver, il était devenu énorme. Son armée avait enflé et lui avec. Et maintenant, il était près d'exploser, comme si quelque chose devait s'extraire de lui, comme un papillon émergeant d'une chrysalide.
Ne nous égarons pas.
Rester concentré.
Oui.Comme il aimait ces vieux mots qui lui revenaient...
Concentré. Concentré. Concentré.
Attentif. Tiens, un autre. Plus facile à dire qu'à faire, néanmoins ; avec toutes ses voix qui résonnaient autour de lui. S'il n'y prenait garde, leurs stupides radotages sans fin menaçaient de lui remplir de nouveau la tête. Pour l'heure, c'était comme s'il y avait autour de son crâne une clôture qui les tenait à l'écart. Elles aboyaient, elles hurlaient, elles jappaient, semblables à des renards rendus fous par la présence des ces moutons, derrière le grillage. Braillements, feulements. Kaï, kaï, kaï. Bzzz, bzzz, bzzz... Le vrombissement des abeilles dans le champ de citronniers. Juste un gazouillis. À Babylone.
À l'exception d'une voix, pure, froide, coupante. Celle-ci transperçait la clôture aussi facilement qu'un couteau se plante dans une motte de beurre. Cette voix lui perçait la cervelle et lui touillait les méninges, grattait les bords du bol avec sa pointe. Une femme, une mégère, constamment sur son dos. Il l'avait sentie dès qu'elle était entrée en ville. Une meneuse d'hommes, comme lui, et un esprit puissant, comme lui. Il lui arrivait de se demander s'il ne devait pas la tuer. La donner à manger aux autres. Mais elle lisait dans ses pensées. Typiquement féminin. Elles savent toujours ce que vous pensez. Et voilà que, maintenant, elle se tenait debout devant lui, son visage encadré par de longs cheveux filasse. Pas le plus joli des spectacles. Elle le scrutait, le sondait...
Tu veux ma photo ?Et ils engagèrent la conversation. Enfin, si l'on peut dire. Les pensées passaient de l'un à l'autre, comme dans une partie de ping-pong. Des idées positives, des idées négatives, des idées de meurtre. Elle savait ce qu'il voulait. Elle savait qu'il la haïssait de le mettre ainsi au défi, mais, grâce à sa volonté de fer, elle le maintenait sous son emprise. Elle le fouillait.
- Laisse-moi, dit-il. C'est mon armée.
Avait-il parlé à haute voix ? Il n'aurait su le dire.
- Nous ne faisons qu'un, répliqua-t-elle. Une tête, un cœur, une âme, un esprit.
De la bonne guimauve, comme dans les chansons d'amour à deux balles. Typiquement féminin.
- Et tu sais ce qu'on doit faire. Tuer l'enfant - ainsi que tous ses congénères, si possible - pour être en sécurité. Mais lui d'abord. C'est le plus dangereux.
- Tu t'en charges, dit-il. Moi, je prends mes gars et on met la ville à feu et à sang.
- Il faut tuer l'enfant.
- Je t'aiderai. Tu peux prendre certains de mes généraux. Une partie de mon armée.
C'était bizarre. Avoir une conversation. Comme dans l'ancien temps. Faire du gringue à une nana. Hou, non. Pas elle. Elle, c'était autre chose. Vous ne vouliez rien faire avec elle. Un vrai repoussoir.
- Y en a d'autres, dit-elle. Tu les entends ?
Un cauchemar. Une femme qui pouvait réellement lire dans vos pensées.
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ENEMY Tome 5 : La fin
FanfictionNishinoya découvre que l'armée de Saint Georges se dirige vers le cœur de Tokyo. Il doit à tout prix convaincre les enfants de s'unir s'ils veulent survivre : la bataille finale s'annonce sanglante. Personne n'en sortira indemne...