C'était comme si une onde de choc avait traversé l'armée de Saint Georges, se propageant jusqu'à Ushijima qui, soudain, n'entendit plus qu'un interminable larsen lui interdisant toute pensée. Il se cramponna à un tube de la tour à sono. À ses pieds, tout le corps d'armée s'était disloqué, laissant place à une multitude de petits groupes se livrant entre eux à des luttes acharnées, à coups de griffes et de crocs... quand ils ne s'entre-tuaient pas avec leurs armes de fortunes.
Un désastre. Dès que la douleur fut passée, il descendit. Tant bien que mal, compte tenu du carillon qui continuait de résonner dans sa tête. Ayant atteint le sol sans encombre, il se traîna jusqu'à Kenjirō, qui se tenait la tête à deux mains. À son côté, Satori semblait inquiet.- Que se passe-t-il ?
Devant le mutisme de Kenjirō, Ushijima secoua Satori.
- Satori ? Qu'est-ce qui se passe ?
Celui-ci fit non de la tête. Il était dans l'incapacité de parler. Se tournant vers Kenjirō, Ushijima le secoua à son tour.
- Qu'est-ce que tu as fait ?
- C'est pas moi... C'est pas moi, dit Kenjirō qui, apparemment, souffrait le martyre. Il s'est produit un truc. Des voix dans ma tête. Comme un signal de brouillage...
- Réfléchissons, dit Ushijima. Il faut trouver une parade.
- Je ne peux pas réfléchir, grogna Satori en se frottant furieusement les tempes.
- On n'a pas le choix ! cria Ushijima. Il nous faut un nouveau plan. Il faut arrêter cette bataille et amener les enfants à faire ce qu'on attend d'eux. Satori, aide-moi.
Saint Georges rugit de rage et de dépit. Tout se déroulait si bien. Et voilà que tout s'effondrait. Empli de fierté, il avait bombé le torse. Lui, le saint guerrier chargé d'accomplir la volonté de Dieu. Or, maintenant, il doutait. Quelque chose lui disait qu'on ne pouvait pas toujours se fier aux voix dans sa tête.
C'était Dieu ? Ou bien le diable ? Avait-il été dupé ? Les hommes bons sont toujours tentés. Les gens mauvais essaient de les détourner de leur chemin vertueux.
La seule personne en qui il pouvait avoir confiance, c'était lui-même.Son armée avait perdu le but commun qui l'animait jusque-là et qui lui donnait sa forme. Les ordres étaient devenus flous et contradictoires car les dieux se disputaient entre eux. D'autres voix étaient intervenues et l'avaient violemment invectivé. Elles avaient également pesté contre ses troupes, déclenchant une vague de panique et de violence. Il avait bien tenté de se défendre, de crier lui aussi, mais il n'avait pas ce don.
Quelqu'un d'autre l'avait. Mais où était-elle passée cette gigasse qui avait débarqué sans crier gare, à la tête de sa propre division ? Il se fraya un chemin parmi ses troupes, repoussant tous ceux qui se trouvaient sur son passage, les jetant violemment par terre, montrant les dents, grognant, mordant, jusqu'à ce qu'il aperçoive la tête de cette femme dépasser de la foule.Il s'approcha d'elle et l'agrippa. Elle fit volte-face et le regarda. Il tenta de parler, oubliant qu'il en était incapable. Ce qui sortait de sa bouche n'étaient pas des mots. Il espérait qu'elle pourrait lire dans ses pensées.
Grand Dieu ! Quel cauchemar ! Une femme pouvant lire dans vos pensées.
Mais cette femme en était capable. Qui plus est, il pouvait lire dans les siennes. Il percevait son inquiétude. Elle tourna les talons et s'éloigna, l'attirant dans son sillage aussi sûrement que si elle avait planté un hameçon dans son cerveau. Elle le traîna ainsi plus près du front, là où une légère butte permettait de mieux voir ces démons d'enfants. Saint Georges distinguait le bâtiment coiffé d'une plate-forme où se tenait le général satanique.
La femme montrait quelque chose du doigt. Trois silhouettes : un homme à la peau verte et deux enfants trop bizarres - de vrais diables. C'étaient eux. Eux les faux dieux. Eux qui perturbaient son armée. Il émit un hurlement bestial. Il fallait les arrêter.La voix de la grande femme se mit à résonner en lui, claire et forte. Durant quelques instants, Saint Georges fut sourd et aveugle. Il était parmi les étoiles, dans le vide intersidéral, où il n'y avait plus que les voix, qui se disputaient, la femme contre les démons. Elle contre-attaquait avec son propre cri. Il se força à ouvrir les yeux. Et il l'étudia. Ses longs cheveux masquaient son visage.
Il n'aurait jamais dû l'écouter. Ni elle, ni Dieu, ni personne. Il n'avait pas besoin des voix. Il était son propre général. Elle lui confisquait sa gloire. Foutues bonnes femmes. Toujours à bavasser.
Il était boucher, lui.
Son monde était simple.
Il pivota vers la grande femme et lui ficha une bonne gifle du revers de la main, qui la précipita à terre. Étendue là, elle le regardait comme un petit animal apeuré. Voilà. C'était comme ça que ça devait être.
En plus, elle s'était tue.
Bien.
Enfin du silence.
Tout rentrait dans l'ordre, finalement.
L'offensive tournait court. L'ennemi se retirait. Les crevards quittaient la barricade.- J'y crois pas, dit Kuroo. Ils décampent.
Yukie ne voulait pas laisser l'espoir se glisser dans l'entrebâillement de la porte. D'expérience, elle savait que cela conduisait le plus souvent à la déconvenue.
Comme pour confirmer ses craintes, un espace se dégagea et Ushijima et sa bande apparurent. Il se sentait le courage d'approcher de plus près maintenant qu'il savait que l'artillerie de Kenji n'avait plus de munitions.- Vous vous rendez ? lui lança Kenji.
- Tu plaisantes ? Ça, c'est juste le hors-d'œuvre, rétorqua Ushijima. T'as encore rien vu. Assez néanmoins pour comprendre que vous ne pouvez pas gagner cette bataille. Sérieux, je ne voudrais pas que vous vous fassiez tous tuer. Pour rien, en plus. Allons, soyez raisonnable, capitulez. Je vous donne jusqu'à demain matin. Réfléchissez-y cette nuit, pendant que vous chercherez le sommeil. Imaginez ce qui pourrait se passer demain, à l'aune de ce que vous avez vu aujourd'hui. L'état des forces en présence. Quand je reviendrai demain matin, je veux une réponse. Consentez-vous à me confier le commandement en chef ou est-ce que vous préférez laisser Kenji conduire votre armée à la défaite ?
Le mec était bon, Yukie devait bien l'admettre. Il pratiquait la guerre psychologique, sachant très bien à quel point les enfants seraient terrorisés durant la nuit et combien leur terreur augmenterait à l'approche du matin. Ils avaient subi de lourdes pertes, essentiellement quand les crevards avaient réussi à s'engouffrer dans la brèche ouverte à l'extrémité de la Serpentine. Parmi les blessés évacués, Yukie avait vu beaucoup de cadavres, même si Kenji s'était vite arrangé pour les faire disparaître. Mais les enfants allaient parler. Parler des pertes subies aujourd'hui et aussi de celles qu'ils pourraient subir demain. Évoquer le fait que, malgré le nombre important de crevards qu'ils avaient tués, il semblait y en avoir toujours autant face à eux.
Combien d'enfants déserteraient pendant la nuit ? Combien essaieraient de passer à l'ennemi ? Quelle serait la réaction de Kenji ? S'il voulait éviter un désastre, il allait devoir trouver un moyen de remotiver ses troupes.
Yukie s'assit. Kuroo vint la rejoindre.- Ce mec est vraiment un pignouf, dit-il.
- Il essaie juste de nous faire flipper, dit Yukie. Pour qu'on baisse les bras.
- Ouais, mais pourquoi il s'est arrêté ? Il aurait pu continuer le combat toute la nuit. Les crevards n'abandonnent jamais. Encore moins la nuit. Ils nous sentent. Pas besoin de nous voir. Donc pourquoi a-t-il arrêté ?
Yukie haussa les épaules.
- Parce qu'il a besoin de reconsidérer sa tactique, poursuivit Kuroo. Maintenant que le Géant vert et les Biscornus se sont jetés dans la bataille, la situation a changé. Il voudrait faire croire qu'il maîtrise, mais en fait, c'est faux. Sans quoi jamais il n'aurait mis fin à son offensive.
- J'espère que t'as raison. Mais plus j'y pense et plus je regrette qu'on ne se soit pas connu plus tôt. On se serait tirés tous ensemble. Sur une île sous les tropiques. Et à l'heure qu'il est, on serait tranquillement à la plage.
- Un jour, ça arrivera, dit Kuroo. Promis. Un jour on aura cette plage rien que pour nous tous.
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ENEMY Tome 5 : La fin
FanfictionNishinoya découvre que l'armée de Saint Georges se dirige vers le cœur de Tokyo. Il doit à tout prix convaincre les enfants de s'unir s'ils veulent survivre : la bataille finale s'annonce sanglante. Personne n'en sortira indemne...