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Nishinoya était de retour dans la flèche du vieux cinéma, d'où il observait l'armée crevarde. Il se sentait chez lui. C'était ce qu'il savait faire de mieux. Surveiller. Attendre. Suivre. Seul. Personne pour le ralentir, le mettre en danger ou être blessé à sa place.
Non, décidément, rien ne valait l'action en solo.
Il avait son sac, sa nourriture, son eau, ses armes. Et, de son poste d'observation, il pouvait embrasser du regard la quasi-totalité de l'armée de Saint Georges, environ deux fois plus importante qu'elle ne l'était auparavant. Sans compter que d'autres crevards convergeaient de partout vers ce point de rencontre, déambulant d'un pas lourd dans le matin blême. Grâce au système de communication institué par Kenji Futakuchi, des renforts ennemis avaient été signalés en provenance de l'est. Un peu plus tôt dans la journée, Nishinoya était passé voir Saif, qui lui avait confirmé que des crevards débarquaient du nord. Quant à ceux qui arrivaient par le sud, Nishinoya les avait vus de ses propres yeux, sur les ponts qui enjambaient le fleuve. Le contingent le plus important était celui qui arrivait de l'ouest. Le groupe qui avait enlevé Yo-Yo. Aucune chance qu'elle soit encore en vie. Il n'avait même pas essayé de se mentir.

La meilleure chose à faire était d'évacuer la fillette de ses pensées. Se concentrer sur les crevards.
Tant de questions restaient en suspens.
Ils étaient tous là, tous les nouveaux, et ils se mélangeaient à l'armée originale de Saint Georges. Qu'est-ce qu'ils fichaient ? Qu'est-ce qu'ils attendaient ? Pourquoi s'étaient-ils rassemblés ? De quoi se nourrissaient-ils ? Comment survivaient-ils ? Appliquaient-ils réellement une sorte de stratégie ?
Nishinoya brûlait de descendre de son perchoir et de se glisser parmi eux. Cependant, c'était trop dangereux. Il avait tenté le coup et n'avait dû son salut qu'à sa fuite effrénée, malgré sa jambe encore faible. Il s'en était sorti de justesse. Si les crevards n'avaient pas été aussi lents et patauds, s'ils n'avaient pas autant répugné à quitter le confort de leur nid, il aurait sûrement été pris et avalé tout cru par la meute. Il était beaucoup plus prudent depuis.
L'expérience avait au moins permis de répondre à une question.
Lui qui pensait être animé par une énorme pulsion morbide avait compris que ses envies de suicide étaient derrière lui. Ce qui était arrivé à Yo-Yo n'était pas sa faute. C'est comme ça qu'il fallait voir les choses. Dans un sens, Ryan était aussi responsable que lui.

Personne n'aurait pu prévoir qu'une nouvelle armée allait débarquer alors que les rues étaient aussi calmes.
Et puis... il fallait bien se raconter ce genre d'histoire si l'on voulait rester en vie et à peu près sain d'esprit. Celui qui cédait à la pitié était condamné. Pour survivre, il fallait être fort mentalement. La tête, le cœur, le bras. Les trois devaient être forts. Qu'un seul fasse défaut, et c'était fini. Or, après la disparition de Yo-Yo, il y avait eu un moment où le cœur de Nishinoya avait beaucoup saigné. Il avait lentement rebâti un mur autour. Il s'était éloigné des autres enfants et, maintenant, il était de retour dans son élément, avec ses crevards.
Il était heureux d'être là. Heureux d'observer et d'attendre. Fort dans sa tête, dans son cœur et la main ferme et sûre...

Soudain, il retint son souffle. Ça bougeait. Des ombres se déployaient dans l'avenue, en direction du sud. Au début, rien qu'une ou deux, puis des poignées, ensuite des groupes plus importants et, pour finir, un flot continu qui submergeait toute la chaussée, telle une coulée d'huile grasse, sale et pourrie.
Ça lui rappelait les jours de match. Quand les fans de sport envahissaient les rues. Une foule lente et têtue, qui se rassemblait, dans l'attente d'un événement précis.
L'armée de Saint Georges se déployait.
Les hostilités étaient engagées.

ENEMY Tome 5 : La fin Où les histoires vivent. Découvrez maintenant