ENEMY Tome 5 : La fin

58.

  En première ligne, Yukie lardait de coups de lance la marée de crevards. Parfois, l'un d'eux réussissait à agripper la hampe, mais Kuroo, qui se battait à son côté, se tenait prêt et il frappait avec sa pique jusqu'à ce que l'ennemi lâche prise. Ces combats acharnés étaient épuisants, aussi Yukie accueillit-elle avec un immense soulagement le coup de trompette annonçant la relève.

  Elle recula, les jambes percluses de crampes, et regarda une fraîche fournée d'enfants prendre sa place au front. Elle balaya du regard la barricade. Disséminés tout du long sur leurs plates-formes de combat, les enfants qui étaient censés la tenir semblaient désespérément peu nombreux. Néanmoins, pour quelques minutes bénies, ce n'était plus son problème. Kuroo et elle titubèrent jusqu'à la Serpentine où des petits les attendaient avec des bouteilles d'eau. Kenji avait pensé à tout - sauf à la manière de remporter cette bataille. Rien ne semblait avoir d'effet. Les rangs de l'armée de Saint Georges donnaient l'impression d'être aussi fournis que quand ils avaient commencé. Leur contingent semblait inépuisable, leur force inexpugnable. Immanquablement, ils allaient continuer à pousser, jusqu'à ce que la barricade tombe ou qu'ils parviennent à l'enjamber.

  Elle s'affala sur la pelouse au côté de Kuroo. Ils échangèrent un long regard. Trop épuisés pour dire un seul mot. Trop apeurés pour admettre que c'était sans espoir. Ils auraient voulu que cette journée s'arrête.
  Yukie ferma les yeux, si fatiguée qu'elle s'endormit instantanément.
  Une seconde ? Une demi-seconde ? Une micro-seconde ? Qu'importe. De toute évidence, ce n'était pas suffisant car avant qu'elle ait compris comment, elle s'éveilla en sursaut, si brutalement qu'elle s'en fit mal à la nuque. Des cris résonnaient sur la droite. Des enfants paniqués couraient dans tous les sens.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en se relevant à grand-peine.

  Les ordonnances de Kenji claironnaient de nouveaux ordres. Que signifiaient-ils ? Son cerveau était engourdi. Elle ne se rappelait plus les signaux. Et puis quelqu'un hurla ce qu'elle n'aurait jamais voulu entendre.

- Ils ont ouvert une brèche dans le mur !

- Viens, vite ! cria Kuroo.

  Abandonnant sa lance plantée dans le sol, elle dégaina son katana, plus adapté au corps-à-corps, et courut à la suite de Kuroo, soudain bouillante d'énergie. Toute une section de la barricade avait été enfoncée, à l'angle du lac, et les crevards se répandaient en masse par l'ouverture.
  De concert, Yukie et Kuroo aboyèrent leurs ordres, repositionnant ceux qui tenaient les parties voisines du rempart et ordonnant à ceux qui se reposaient de retourner au combat. Rapidement, une unité fut constituée, qui se mit d'instinct en rangs serrés, chacun protégeant l'autre, comme lors des entraînements qu'ils avaient si souvent pratiqués. Et ils se déployèrent en formant un cordon de sécurité. Il fallait circonscrire l'invasion, endiguer le flot de crevards, reboucher la brèche.

  En attendant, les adultes envahissaient le camp aussi sûrement que l'eau jaillissant d'un barrage en train de céder. L'unité de Yukie engagea la contre-offensive et, bientôt, une lutte impitoyable s'engagea. Au début, tout allait bien. L'unité tenait bon. Elle gagnait même du terrain, repoussait l'ennemi vers l'eau. Las ! Plus elle pressait d'un côté, plus ça débordait de l'autre. Il y en avait trop. Tout simplement. Yukie avisa le bataillon d'Akaashi, qui approchait sur sa gauche, armé de barrières de sécurité dont les artilleurs se servaient comme de bulldozers pour repousser l'ennemi. Et puis elle ne vit plus rien d'autre qu'un grouillement de corps.
  De féroces combats rapprochés s'engagèrent. Les enfants fendaient, piquaient, rompaient, taillaient, cognaient. En face, les crevards bataillaient sauvagement, à coups de griffes. Ceux qui étaient armés se déchaînaient, leurs bras se levant et s'abattant encore et encore, leurs armes primitives apparaissant en pleine lumière avant de disparaître dans la mêlée. Autour de Yukie, des enfants s'effondraient.