Boggle patientait sur les marches en compagnie de quatre de ses amis et d'un garçon nommé Fukunaga, arrivé au musée en même temps que les enfants d'Holloway. Fukunaga était en train de leur expliquer pourquoi il souhaitait rejoindre les rangs des fidèles de Matt.
- Ils sont du côté de la vérité. Ils savent que, si nous prions, l'Agneau nous protégera.
- Ben voyons, dit Boggle.
- Matt avait tout prédit. Tout. Et je compte bien me placer sous sa protection. Avant, je pensais que rien ne valait un flingue, mais l'Agneau est plus fort encore. Son sang nous sauvera.
- Si tu le dis, répliqua Boggle. En attendant, c'est courageux de ta part d'aller au combat.
- Je ne suis pas courageux, protesta Fukunaga. Je sais seulement que je serai plus en sécurité au côté de Matt. C'est vous qui êtes courageux de vous aventurer sans protection en terrain hostile. Sans Agneau pour veiller sur vous. Sans autre soutien que l'arme que vous avez en main. Il est là, le courage. Ne croire en rien. J'aurais aimé posséder cette force, or ce n'est pas le cas.
- Alors là, j'y comprend plus rien.
Boggle ne s'était jamais considéré comme un brave. Au contraire. Dès qu'il avait entendu dire qu'il y avait une possibilité d'échapper aux combats, il l'avait saisie. Sauf que maintenant, c'était la culpabilité qui prenait le dessus. La culpabilité et puis cet étrange type tout vert et tout bizarre. En parlant du loup, voilà justement qu'il apparaissait, sortant du musée par la grande porte accompagné de la fille qui faisait penser à une image réfléchie au dos d'une cuillère et du gars qui ressemblait à un Sharpei et dont les mains comme le visage disparaissaient sous d'épais plis de peau.
- Vous êtes certains de connaître le chemin ? demanda Absinthe, une fois arrivé à leur hauteur.
- Ce ne sera pas difficile de trouver une bataille, dit Boggle.
Et ils partirent au pas de course. La seule manière de faire. Se déplacer vite et ne surtout pas s'arrêter pour réfléchir. Aller droit au but en prenant les choses comme elles viennent. Il avait des amis là-bas, qui donnaient leurs vies. Il ne pouvait pas rester plus longtemps planqué au musée en sachant qu'ils étaient peut-être en train de mourir. N'empêche, la vache. Oh, la vache ! Dans quoi allait-il mettre les pieds ?
Il avait vu une émission un jour, sur la Première Guerre mondiale. Il connaissait l'enfer des tranchées et tout ça. Les soldats qui racontaient l'océan de boue, la mort et l'horreur. Pourtant, dans le documentaire, ils montraient bien comment, à quelques kilomètres de là, la vie continuait, presque normalement. Les gens vivaient dans leurs villages et cultivaient leurs champs. Ils voyaient les éclats d'obus, les vives lueurs des bombes, ils entendaient les explosions, mais, à force, ils n'y prêtaient plus attention.Là, Boggle se sentait dans la peau d'un jeune paysan qui aurait quitté la sécurité de son village pour monter au front.
Bientôt, ils couraient dans Exhibition Road, sur cet étrange dallage bicolore qui dessinait de grands zigzags sur la route. Des bruits résonnaient au loin, plus proches à chaque seconde. Pas les coups de canon des tranchées, davantage ce qu'on pouvait entendre aux abords des stades les jours de match - une sorte de grondement lointain. Boggle avait grandi près du stade. Ce bruit avait donc, pour ainsi dire, bercé son enfance.
Ils traversèrent Kensington Gore au pas de course et franchirent les grilles du parc. Jusqu'ici, ils n'avaient rien vu. Ils fonçaient vers l'inconnu. Tout ce que Boggle savait, c'était qu'une immense armée de crevards se trouvait dans le coin, quelque part, mais il ignorait totalement si elle était disséminée dans tout le parc ou si l'armée de Kenji la retenait en un seul endroit. Un peu plus loin, devant eux, ils aperçurent les silhouettes d'enfants postés en sentinelle. Boggle leur demanda quel était le meilleur chemin pour se rendre sur le théâtre des opérations.- Le pont est bloqué, dit la fille qui semblait chef de peloton. Si vous voulez rejoindre le front, vous devez prendre un bateau et traverser la Serpentine.
Le groupe de Boggle se remit en route. Ils tournèrent à droite, dépassèrent la triste rigole en béton, de forme vaguement circulaire, érigée en mémoire d'une princesse ancienne, puis s'engagèrent dans Rotten Row. Par le passé, les gens y montaient à cheval, sur cette immense allée bordée d'arbres qui s'enfonçait tout droit dans le parc. Un peu plus loin, il y avait un café, au bord d'un lac, où attendaient d'autres enfants en armes : l'unité chargée des barques qui assuraient le transport des hommes et des marchandises entre le camp et l'arrière. De fait, un bateau venait d'accoster, avec plusieurs blessés à son bord, dont un qui hurlait de douleur. Après avoir rapidement vérifié qu'il ne connaissait personne parmi ces malheureux, Boggle détourna aussitôt le regard, s'épargnant ainsi la vue de ce spectacle affligeant.
Ils étaient toujours trop loin du champ de bataille pour voir clairement ce qui se passait, mais la clameur du stade de foot était beaucoup plus présente. En arrière-plan, on entendait ce drôle de chuintement humide que faisaient les crevards et des cris d'enfants.
La troupe de Boggle grimpa dans deux barques différentes qui ne tardèrent pas à voguer sur la Serpentine au rythme régulier des rames plongeant dans l'eau.
Quand ils accostèrent sur la rive opposée, Boggle cherchait désespérément son souffle, quand bien même il ne faisait pas partie des rameurs. Il se rendit compte qu'il était pris de panique.- Une minute, dit-il, plié en deux, les mains sur les cuisses, en attendant que la crise passe, que les bulles qui pétillaient dans sa tête se calment et que ses genoux arrêtent de trembler.
- Ça va aller, Boggle, dit un de ses copains en lui tapotant le dos. Tout va bien.
Finalement, c'était ça, l'essentiel. Les amis. Qui prennent soins les uns des autres. Il n'aurait pas dû tant tarder à venir.
Il se redressa. Les autres regardaient tous vers le nord, vers le champ de bataille. Passée une étendue de pelouse déserte se trouvaient les enfants des barricades et, au-delà, ce qui ressemblait à un grand mur noir et mouvant ou à une seule et même créature dégoûtante, façon limace géante. Où se situait le front ? Il n'aurait su le dire. Tout n'était plus que confusion et chaos. Des enfants couraient dans tous les sens, brandissant leurs armes, puis, soudain, disparaissaient.
Il dévisagea les membres de son petit groupe. Ses quatre compagnons étaient livides, les yeux vitreux. La fille bizarre, Poisson-Face, semblait en transe. Le Green Man chuchotait à son oreille. Pétrifié, Skinner contemplait la scène sans bouger d'un pouce. Incroyable comme ce visage pouvait être expressif alors même que l'on distinguait à peine où se situaient les yeux.
Pourtant, le sentiment qu'il exprimait ne faisait aucun doute.
La pure terreur.
Après un silence, il déclara :- J'aurais dû rester au lit ce matin. Il faisait si bon sous la couette.
Boggle le serra rapidement dans ses bras.
- Si on gagne celle-là, on pourra faire autant de grasses matinées qu'on voudra.
- Dans ce cas, allons nous battre pour défendre nos grasses mat', lança Skinner. Pour des lits chauds et douillets et plus jamais de peur !
VOUS LISEZ
ENEMY Tome 5 : La fin
FanfictionNishinoya découvre que l'armée de Saint Georges se dirige vers le cœur de Tokyo. Il doit à tout prix convaincre les enfants de s'unir s'ils veulent survivre : la bataille finale s'annonce sanglante. Personne n'en sortira indemne...