ENEMY Tome 5 : La fin

46.

L'unité de Yukie et Kuroo était arrivée sans encombre aux abords de Hyde Park. Ils étaient venus par l'est, sans savoir exactement à quoi s'attendre.
Et tout à coup, pratiquement au milieu de Park Lane, le long de la rivière, ils s'étaient figés.
Sonnés.
Ils n'en croyaient pas leurs yeux. À telle enseigne qu'ils étaient tous incapables d'articuler une phrase entière, rien que des borborygmes, des jurons ou des mots épars.
Jamais ils n'auraient imaginé ça.
Le parc tout entier semblait rempli d'adultes. Une foule immense, une masse effarante, graisseuse et puante.

Kuroo fut le premier à rompre l'hypnose. Il poussa un cri pour réveiller les enfants et les pousser à se remettre en route, à descendre Park Lane en longeant la zone délimitée par une clôture qui, par le passé, accueillait les grands concerts, jusqu'à trouver un endroit leur permettant d'entrer dans le parc en relative sécurité. Une fois à l'intérieur, ils comprirent mieux ce qui se passait. Les adultes étaient entrés par le haut et, apparemment, s'étaient arrêtés, quasiment à mi-chemin de l'endroit où Kenji avait installé ses lignes de défense. Celle-ci dessinaient grosso modo un rectangle, assise à la Serpentine. La zone était protégée par un parterre de pieux effilés tournés vers l'extérieur, plantés dans le sol à quarante-cinq degrés et derrière lesquels s'élevaient des barricades constituées de barrières métalliques et de morceaux de bois de récupération. Il avait même coupé et déplacé quelques arbres afin de consolider la fortification qui commençait à l'extrémité est du lac et qui remontait tout droit vers le nord jusqu'à la Vigie, un des deux groupes de bâtiments des Royal Parks que Kenji avait transformé en fortins destinés à sécuriser les angles supérieurs est et ouest de la position. La barricade reliait les deux points avant de replonger au sud jusqu'à la Serpentine, au niveau du pont. Il avait ainsi pu tirer le meilleur parti de la topographie des lieux, la vaste étendue d'eau protégeant leurs arrières.

Kenji avait installé son quartier général à la Vigie, un édifice moderne entouré d'une clôture métallique. Il avait fait abattre la plupart des arbres alentours, non seulement pour renforcer les fortifications, mais aussi pour dégager la vue. Il avait également fait construire une plate-forme sur le toit du bâtiment afin de se ménager un bon point de vue sur le champ de bataille. Yukie était contente que les crevards se soient senti obligés de venir ici. Presque comme si ça avait été prévu de longue date, décidé d'un commun accord, façon bataille rangée de l'ancien temps. Encore heureux, sans quoi leurs efforts n'auraient servi à rien.
Elle aperçut Kenji au sommet de la Vigie, assis sur une chaise de jardin en plastique, Kunimi à son côté. Velvet, la chienne de Tadashi, attendait patiemment au pied de la grande échelle qui donnait accès au toit.

Ce foutu clebs. Tout ce chambard avec Bokuto, c'était à cause de lui. Quelle misère ! Y avait vraiment pas de quoi se mettre dans des états pareils. Même si Yukie savait bien qu'au fond ce n'était pas l'unique raison pour laquelle Bokuto était furax.
La vraie raison, c'était la fierté. Le respect. Ce fameux code macho, cause de tellement d'embrouilles entre garçons. Sauf que, dans le cas de Bokuto, le coup de colère impliquait que près de la moitié des leurs refusait désormais de se battre.
Super.

Yukie roula les épaules dans l'espoir de faire disparaître un nœud douloureux. Elle soupira. Si ça se trouve, la moitié de ces enfants n'auraient pas combattu quoi qu'il arrive. Si ça se trouve, ils cherchaient juste un prétexte. Malgré tout, Yukie aurait volontiers étranglé Kenji et Bokuto pour s'être l'un et l'autre comportés comme de parfaits connards.
Quelle ironie ! Alors même qu'ils avaient grands besoin de connards, de machos pour livrer cette bataille, c'était précisément la testostérone qui bouillait dans les veines de Bokuto qui le faisait se cloîtrer dans sa chambre, loin de tous, pour ruminer sa colère.

Yukie jeta un regard autour d'elle. Ceux qui avaient fait le choix de venir gardaient le silence, se contentant de contempler l'armée qui leur faisait face, de l'autre côté de la barricade, dans les hautes herbes. Ils pensaient probablement tous la même chose que Yukie : était-il encore temps de faire demi-tour et de fuir en courant ? Kenji ne paraissait pas donner d'ordres. Il restait assis au sommet de sa tour de guet. Même lui semblait sidéré par ce qui s'étalait sous ses yeux.
De leur côté, les adultes se montraient tout aussi attentistes. Debout, immobiles, ils soutenaient le regard des enfants.
Un peu plus loin, sur la gauche de Yukie, impeccablement alignés, tout de vert vêtus, se trouvaient les enfants de Saint-Paul, brandissant leurs bannières et, pour la plupart, portant dans leurs mains un instrument de musique. Au centre du groupe se tenait Matt, la mine impassible.