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  Skinner recula d'un pas tandis que Jackson donnait un troisième coup contre la porte. Plus fort, celui-là. Et puis un autre, et un autre, jusqu'à ce qu'un grognement sourd lui réponde.

- Je voudrais te parler, tonna Jackson, la tête à deux centimètres du battant.

- Va-t'en ! J'suis pas d'humeur.

- Quelque chose s'est passé. Faut vraiment que je te parle.

- Je t'ai dit de dégager.

- Il est arrivé quelque chose à Tadashi.

  Un lourd silence plana. Puis une clé tinta bruyamment dans la serrure, la porte s'ouvrit à la volée, et Bokuto apparut. Pour la première fois depuis qu'il le connaissait, Skinner crut lire de l'inquiétude dans son regard.

- Qu'est-il arrivé ? Il est où ?

- On peut rentrer ? répondit Jackson.

  Bokuto les balaya tous les quatre du regard. À quoi devaient-ils ressembler ? Jackson, grande et dure, le crâne couvert de motifs dessinés au rasoir. Pour finir, elle les avait faits elle-même et c'était un peu raté. Ensuite, Skinner, qui disparaissait sous les plis de sa peau. Enfin, les deux petits, Shōyō, l'air sérieux et grave, et Tobio, vêtu de son habituelle tunique, par-dessus son pantalon, ses cheveux en pétard pointant dans toutes les directions, tel un feu d'artifice capillaire.
  Était-ce le meilleur équipage pour annoncer à quelqu'un que son ami était mort ? Sans doute pas. Le problème c'est qu'il n'y en avait pas d'autre.
  Bokuto recula dans la pénombre. Tous les quatre entrèrent. Par le passé, cette pièce avait été un bureau, avant que Kai n'en fasse sa chambre et que Bokuto ne l'en déloge. Elle n'en demeurait pas moins froide et austère.
  Bokuto fixait Jackson des yeux, attendant qu'elle parle.

- Je suis désolée. C'est pas bon, dit Jackson. Tadashi est sorti. Dans la rue. Il voulait s'engager dans la bataille. Il voulait faire comme toi. Être un héros. Il a pris ton haut Nike et ta lance, celle à laquelle il avait donné cet étrange nom irlandais...

- La Gay Bulge, dit platement Bokuto.

- C'est ça, confirma Jackson, la gorge sèche, ne sachant plus comment poursuivre.

- Il avait ton casque aussi, dit Shōyō. Il l'a perdu...

- Que lui est-il arrivé ? dit Bokuto. Dites-le moi.

- Ils l'ont tué, répondit Shōyō. Les adultes. Ils nous ont pris en embuscade. J'ai essayé de le retenir, de le convaincre de rentrer. Mais il voulait montrer à tout le monde de quoi il était capable. Kenma s'est fait tuer. Et aussi la Grenouille. Tadashi a fait demi-tour pour tenter de les sauver. Il est mort en héros.

- Un héros ? bredouilla Bokuto en fixant Shōyō d'un œil vide, comme s'il ne savait pas qui c'était, comme s'il ne comprenait pas la langue qu'il parlait, comme si Shōyō était un étranger, voire un extraterrestre.

  De toute évidence, il n'arrivait pas à y croire. C'est alors qu'il fit la chose à laquelle Skinner s'attendait le moins. Une réaction totalement inédite, inconcevable : il se mit à pleurer.

- C'était juste un gamin, dit-il. Pas un soldat. Jamais il aurait pu être un combattant. Je l'aurais pas laissé. C'était juste un môme.

  Jackson s'approcha et l'embrassa. Il s'effondra contre elle, le corps secoué de violents sanglots. Elle l'aida à aller jusqu'à une pile de coussins dans lesquels il se laissa tomber, telle une poupée de chiffon, tremblant comme une feuille. La tête posée entre les bras musclés de Jackson, il se laissa bercer.

- C'était un bon gars. Comme un con, j'arrêtais pas de me moquer de lui, de le taquiner, sans jamais lui dire ce que je pensais vraiment. On avait le temps, la vie devant nous. C'était mon ami. Je lui ai jamais dit. Et je lui dirai jamais.

ENEMY Tome 5 : La fin Où les histoires vivent. Découvrez maintenant