ENEMY Tome 5 : La fin

50.

- Venez, je vous en prie ! Avant qu'il soit trop tard, il est trop tard ! Venez vite. Aidez-nous. Nous sommes en grand danger. Vous devez venir aussi vite que vous pouvez. Ils se font tuer. Shōyō ! Ils sont après Shōyō. Aidez-le. Le pauvre. Ils l'ont tué. Venez tout de suite ! Sur-le-champ ! On a besoin de vous... Mister Three ? Vous m'entendez ? Mister Three, debout ! Quelqu'un ! Vous m'entendez ? Ils ont tué le garçon !

Quand Poisson-Face avait piqué sa crise et qu'elle s'était mise à gazouiller, à battre des bras et à remplir sa tête de bruit, elle n'avait pu s'empêcher de communiquer son affolement à Skinner qui était maintenant en pleine crise de panique. Il savait bien que sa seule intention était d'aider, que tout ce qu'elle voulait, c'était communiquer avec les autres. Avec la Reine du dépôt, et avec Trinité, parti vers l'ouest avec Aone. Il avait beau le savoir, le malaise, pour ne pas dire la douleur, que provoquait en lui ce message déformé, brouillé, qui se démultipliait à l'infini, ne lui donnait qu'une envie : la tenir à distance, l'empêcher d'entrer dans son cerveau, la faire taire. D'autant qu'il y avait un risque. Le risque que cette bouillie incompréhensible, au lieu d'éclaircir la situation, ne les laisse encore plus confus et désemparés qu'avant. Une seule chose semblait claire. Le cœur du message. Qui tenait en deux mots. À L'AIDE !

En revanche, tout ce qu'il y avait autour avait tendance à se perdre dans les limbes. C'était comme entendre résonner à l'infini le SOS répétitif d'un avion en perdition.
Skinner se sentait horriblement mal. Poisson-Face et lui se trouvaient dans le hall principal quand Kenma avait déboulé en hurlant : « À l'aide ! Ils sont après le petit ! Ils sont après Shōyō - il faut qu'on aille l'aider ! »
Ils l'avaient suivi dehors et avaient assisté au combat dans la rue. C'est alors que Poisson-Face avait commencé à émettre son message fiévreux, relayant ce que Kenma avait dit en y ajoutant quelques détails de son cru. Les mots avaient frappé l'esprit de Skinner, jusqu'à l'empêcher de penser, et ils étaient toujours là, tels des papillons de nuit cognant à un carreau vivement éclairé.

Skinner était allé jusqu'à la grille où il avait été témoin du sauvetage in extremis des derniers petits, puis du massacre en règle des crevards agglutinés contre les barreaux. Horrifié, il en avait vu certains tenter d'escalader la grille, avant de se faire massacrer par les enfants. Tout au long de l'attaque, Poisson-Face n'avait cessé de diffuser son SOS, qui revenait en boucle, telle une suite ininterrompue de pensées paniquées et de mots confus : « Ils sont après Shōyō. Sauvez-le. Ils se font massacrer. »
Et ils avaient vu les corps étendus dans la rue.
Skinner était au désespoir. Il aimait bien Kenma. Il était drôle et gentil. Quand il avait découvert que Tadashi faisait partie des victimes, il avait été encore plus triste. Tadashi était si jeune, si énergique. Bien sûr, cela n'avait fait qu'accentuer la détresse de Poisson-Face, qui avait aussitôt ajouté Tadashi à son signal de détresse.

- Ils ont tué le petit garçon. Ils ont tué le petit garçon.

  Une nouvelle bribe de message, qui revenait encore et encore. Poisson-Face ne réfléchissait pas à ce qu'elle disait. Ça lui venait du cœur, c'étaient ses émotions brutes qu'elle semait au vent, tels des grains de pollen. À la fin, Skinner l'avait prise dans ses bras et il l'avait remmenée à l'intérieur, à la galerie des oiseaux, où ils avaient leurs quartiers. Ensuite, il avait tout fait pour essayer de la calmer, éviter qu'elle ne craque. En effet, c'était quelqu'un de délicat, à la limite de l'hystérie parfois et, ayant lui-même sa douleur incrustée dans la tête, il était bien placé pour savoir les tourments qu'elle endurait.
  Elle était comme un petit oiseau apeuré, que les formes délirantes de tous les spécimens empaillés qui les entouraient ne faisaient que perturber davantage. Jusqu'à la folie.

- Poisson-Face, dit-il en la serrant contre lui. Je t'en prie, calme-toi. Il faut faire ça correctement. Concentre-toi. Tout va bien, Shōyō est sain est sauf. Tout va bien...