- T'es mieux comme ça, vraiment, déclara Poisson-Face en caressant le bras du Géant vert et en se remettant au travail.
Un claquement métallique retentit, suivi d'un léger cliquetis accompagnant la chute d'un ongle d'une longueur fantastique sur le sol.
Yukie frissonna. Poisson-Face était en train de couler les ongles de son père à l'aide d'une grosse paire de ciseaux de cuisine. Horrifiant. D'autant que, personnellement, elle n'était pas certaine de partager le jugement esthétique de Poisson-Face. Absinthe était-il moins vert avec les ongles ras ? L'humus délétère dont il était couvert était-il en train de tomber ? Quoi qu'il en soit, avec ou sans ongles, il continuait de mettre Yukie très mal à l'aise. Ses yeux pâles. La manière dont une idée impénétrable semblait infuser en permanence dans les méandres de son cerveau. La manière dont vous pouviez le surprendre en train de vous lorgner avec gourmandise et, si vous souteniez son regard, sa façon de baisser les yeux comme un toutou honteux.Poisson-Face avait fait ce qu'elle pouvait pour lui donner un aspect normal. Elle lui avait coupé les cheveux et maintenant, elle le débarrassait de ses ongles démesurés. Elle lui avait également enjoint de porter des vêtements : un tee-shirt large et un pantalon de survêt, quand bien même il se plaignait que le tissu lui irritait la peau. Pas de chaussures. Ça, c'était non négociable. Tout comme le fait qu'il garde sur ses épaules l'infâme couverture dont il ne se séparait jamais, ainsi que le ridicule chapeau en plastique vert vissé sur son crâne. En résumé, il était loin d'être normal. Pouvait-on pour autant parler d'amélioration de son état physique ? Était-il globalement en meilleure santé ? Ou le fait qu'il parût plus humain n'était-il dû qu'aux efforts esthétiques de Poisson-Face ?
Quel couple ils formaient ! Yukie n'était pas sûre de s'y habituer un jour. Poisson-Face et le vieux laideron. Yukie savait qu'Einstein faisait des expériences sur lui, qu'il l'utilisait comme cobaye pour les antidotes élaborés à partir du sang de Shōyō sur lesquels il travaillait. Au moins Einstein ne l'avait-il pas tué, contrairement à la mère dans le camion. Il avait fabriqué un nouveau sérum, plus sûr, et avait commencé par l'administrer en toutes petites doses. Depuis, il augmentait graduellement les quantités. Yukie ne prétendait pas comprendre les mécanismes, mais quelque chose devait marcher.Elle était venue dans la galerie des oiseaux, là où les Biscornus et Absinthe avaient leurs quartiers, pour essayer de trouver Skinner. C'était avec lui qu'il était le plus facile de discuter et, en plus, il pouvait traduire les sorties disons plus particulières de Poisson-Face. Apparemment, elle était encore capable de recevoir des messages de son ami Trinité, parti vers l'ouest avec Aone.
Yukie voulait savoir s'ils avaient donné de leurs nouvelles. Aone était-il sur le chemin du retour ? Elle avait beau ne pas bien le connaître, le peu qu'elle avait vu de lui l'avait impressionnée. En plus, il avait emmené Kanji, Lev et Ebenezer, trois de leurs meilleurs guerriers. Le moral des troupes au musée était désastreusement bas depuis que Bokuto avait annoncé qu'il refusait de se battre. Si Aone revenait, il serait peut-être capable de remobiliser tout le monde. Pour le moment, mis à part un petit groupe de purs et durs du musée et la bande à Yukie, c'étaient surtout les gars de l'Est qui étaient disposés à se jeter dans la bataille, or elle doutait sérieusement de la valeur au combat de ces timbrés de Saint-Paul habillés tout en vert. Certes, ils étaient enthousiastes - à la limite du fanatisme - mais on ne pouvait pas réellement parler de guerriers. Elle les avait vus s'entraîner à Hyde Park. Leur approche du combat semblait faire la part aux prières, aux chants et à la musique, en revanche, l'art de la guerre y tenait un rôle tout à fait secondaire. Or, Yukie connaissait assez les adultes pour savoir que si les Verts partaient au front avec pour seules armes des violons et des trompettes, ils se feraient massacrer.
Aucun Dieu ne les protègerait. Par contre, si Aone revenait, la donne changerait.
Bref, elle n'avait d'autre choix qu'interrompre cette scène touchante de tendresse familiale.- Skinner est là ?
- Là-haut, avec les petits, répondit Poisson-Face sans lever les yeux de son ouvrage.
Elle était si timide, la pauvre fille.
- Tu veux quelque chose ? dit-elle en tordant son long cou de manière à éviter le regard de Yukie.
Celle-ci lui expliqua le motif de sa visite.
- Je n'ai rien entendu depuis un moment, répondit Poisson-Face quand elle eut terminé. Du moins, rien de clair. Le passage de ces nouveaux adultes a tout chamboulé. Ils sont tellement nombreux qu'ils brouillent le signal. C'est plus que de la bouillie, du bruit blanc, un milliers de voix qui crieraient toutes en même temps. On ne peut rien en tirer. Je te dirai dès que j'en saurai davantage. Promis... mais, Yukie ?
Enfin, elle leva ses grands yeux démesurément écartés et Yukie y lut comme une supplication.
- Tout va bien se passer ?
- Très honnêtement, je ne sais pas. Si nous ne parvenons pas à motiver et à rassembler tout le monde, j'ignore comment ça peut tourner. Plus personne ne veut se battre.
- Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire ?
- Tu peux nous faire revenir en arrière ?
Poisson-Face fit non de la tête.
- Donc aucune chance de remonter le temps pour empêcher Kenji de prendre la chienne de Tadashi ? Et si tu nous téléportais dans un univers parallèle où la maladie n'existe pas ?
Poisson-Face esquissa un timide sourire avant de secouer de nouveau la tête.
- Dans ce cas, j'ai peur que tu sois aussi démunie que moi, dit Yukie. Même dans les rangs de mes Holloway, certains ont déjà dit qu'ils jetteraient l'éponge si Bokuto ne participait pas au combat. Que pouvons-nous faire ?
- Espérer que les crevards ne passent jamais à l'attaque.
- On va demander à la bande de Saint-Paul d'intégrer ça dans leurs prières...
Un cri leur fit toutes les deux tourner la tête vers la porte.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda anxieusement Poisson-Face.
- Je vais aller voir.
Yukie sortit et se dirigea vers le hall principal, filant au pas de course le long des vitrines où étaient exposés les fossiles de monstres marins. Il y avait de l'agitation au pied du squelette de diplodocus, des éclats de voix, on agitait les bras en faisant de grands gestes. S'approchant, Yukie repéra Kuroo, qui semblait au centre des débats. Forçant encore l'allure, elle alla droit vers lui. Dès qu'il l'aperçut, il sortit de la mêlée et l'entraîna à l'écart. Il avait l'air sombre. En dépit de ses efforts pour garder une mine impassible, on pouvait lire sur son visage que l'heure était grave.
- Ils arrivent, dit-il.
- Qui ? Quoi ?
- L'armée s'est mise en marche. Il faut qu'on se tire d'ici. Kenji veut qu'on canalise les crevards en direction de Hyde Park.
- Merde.
Ce plan avait été longuement discuté. Les enfants avaient œuvré pendant des jours pour construire des barricades et élever une sorte de muraille afin de conduire les adultes sur le champ de bataille que Kenji avait choisi. Les travaux, hélas, étaient loin d'être achevés. Sans compter que l'armée risquait de se déployer et d'investir toutes les rues. Ou encore de contourner les fortifications pour les prendre à revers. Personne ne savait quelle serait leur tactique.
Et depuis que Bokuto avait fait son caprice, l'armée d'enfants avait commencé à se déliter. Ils avaient déjà perdu la moitié de leurs effectifs.- Est-ce qu'on est prêts ? demanda-t-elle en balayant du regard les visages anxieux des enfants.
- Bien sûr que non. Et on le sera jamais.
Yukie étouffa un juron. Elle aurait vraiment préféré que Kuroo lui mente.
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ENEMY Tome 5 : La fin
FanfictionNishinoya découvre que l'armée de Saint Georges se dirige vers le cœur de Tokyo. Il doit à tout prix convaincre les enfants de s'unir s'ils veulent survivre : la bataille finale s'annonce sanglante. Personne n'en sortira indemne...