Mardi
22 novembreInstallée devant mon ordinateur, je jette un coup d'œil derrière moi.
— C'est la réunion de jeudi qui te stresse comme ça?
Je me tourne vers Céline assise de l'autre côté du bureau.
— Comment ça?
— Depuis hier tu n'arrêtes pas de bouger nerveusement ta jambe, tu passes ton temps à regarder le bureau de Dugas et tu as commencé à te ronger les ongles, me fait-elle remarquer. Il y'a quelque chose qui ne va pas?
Je cache ma tête dans mes mains, au bord du désespoir.
— J'ai déposé mon manuscrit hier matin, avoué-je dans un soupir.
Entre mes doigts, je vois Céline faire rouler sa chaise jusqu'à moi, un immense sourire aux lèvres.
— C'est vrai? Mais c'est génial! Je ne l'ai pas encore lu mais je suis persuadée qu'il est super!
— J'en suis moins convaincue. Je n'ai toujours pas de retour.
Je ne pensais pas que l'attente serait aussi angoissante. Et comme si ça ne suffisait pas, Dugas ne sort plus du tout de son bureau depuis hier. Je ne peux même pas savoir ce qu'il en pense pour le moment.
— C'est normal! Christelle a de nombreux dossiers à traiter. Mais tu peux peut-être lui demander de gérer le tien en priorité!
Je grimace en guise de réponse.
— Quoi?
— Je ne l'ai pas donné à Christelle.
— Mais alors à qui tu...
Céline ouvre grand les yeux. Son sourire disparaît lorsqu'elle comprend.
— Tu n'as pas fait ça quand même?
— Si!
Et j'ai tellement peur de sa réponse que je n'en ai pas dormi de la nuit.
— Mais pourquoi à lui? Tu sais qu'il te déteste pourtant!
Merci Céline pour ton soutien! Vraiment, ça me rassure...
— Je sais! Mais il ne m'a pas vraiment laissé le choix. Il a découvert que j'écrivais et m'a ordonné de lui déposer mon roman. Et je ne l'ai pas croisé une seule fois depuis, dis-je en omettant quelques détails de voisinages.
Céline me regarde longuement avant de s'avachir dans le fond de sa chaise, une main sur le front.
— De toute façon c'est fait maintenant, tu ne peux pas revenir en arrière. Y'a plus qu'à attendre.
***
Cela fait deux jours que je dévore l'histoire de Mademoiselle Muller dès que j'ai du temps libre entre deux réunions.
Comment se fait-il qu'un tel manuscrit ne soit pas édité?
Je compte bien remédier à cette question!
Mademoiselle Muller n'aurait jamais dû avoir peur de me le faire lire. À moi, ou n'importe qui d'autre. Le potentiel est bien trop grand pour craindre quoi que ce soit. Ou plutôt, qui que ce soit. Elle m'avait bien fait comprendre que c'était moi le problème et je compte bien me rattraper en devenant sa solution.
Il est un peu plus de 12h lorsque je sors de mon bureau pour imprimer un double du manuscrit. Comme à son habitude, Mademoiselle Muller est assisse à son bureau, avec sa salade. Étant dos à moi, elle ne me voit pas, ce qui est sûrement mieux ainsi. Je ne compte pas la déranger pendant sa pause.
Alors que je traverse le couloir, je surprends une conversation, qui m'étonne. À cette heure ci, tous les employés à part Mademoiselle Muller sont déjà partis manger normalement. Sauf que ce n'est pas sa voix, mais celles de deux hommes.
— Joyce? Celle qui s'habille comme une plouc? T'es sérieux mec? ricane l'un d'eux.
— C'est vrai qu'elle fait pas rêver comme ça, mais je te parie qu'il y'a du potentiel là dessous. Je suis sûr qu'elle a un beau petit cul et des...
L'homme, Marc, s'interrompt soudainement en m'apercevant. Irrité par leurs propos je les coupe dans leurs médisances par une voix sèche.
— Vous feriez mieux d'aller manger au lieu de parler dans le dos de vos collègues.
— Ou...oui Monsieur.
Et ils partirent sans demander leurs restes.
Je me retiens de les virer sur le champ. S'il y'a bien une chose que je ne supporte pas, c'est qu'on se moque d'autrui. Surtout que Mademoiselle Muller fait son travail sérieusement contrairement à eux qui passent le plus clair de leur temps à la machine à café. Certes, j'ai moi-même critiqué à plusieurs reprises son travail à son arrivée, mais c'est parce que j'étais irrité d'apprendre qu'elle n'habitait qu'à un mètre de chez moi et je ne savais pas comment réagir face à ça. Alors le seul moyen que j'avais trouvé pour qu'elle se tienne à distance était de me comporter comme un connard avec elle.
Je l'ai aperçu plusieurs fois à son poste alors que c'était l'heure de sa pause. Même le soir, il m'étais arrivé de partir avant elle alors que je suis habituellement le dernier à quitter les bureaux. Rien que pour ça, elle mérite qu'on la respecte, et non qu'on se moque de ses choix vestimentai...
Je suspens mon geste, les feuilles à moitié insérées dans l'imprimante.
N'ai-je pas sous entendu la même chose que ces deux hommes il y'a de cela plusieurs jours?
Qu'elle s'habillait mal?
Et le pire, c'est que je l'ai fais en la regardant droit dans les yeux, sans aucun tact.
Je me souviens parfaitement lui avoir fait comprendre de mieux s'habiller pour l'arrivée d'un grand auteur. Ce jour là, elle était partie se réfugier dans les toilettes. Et la semaine suivante, lorsque l'écrivain était venu, Mademoiselle Muller fut introuvable.
Je ne m'étais pas rendu compte à quel point elle avait dû se sentir humiliée face à cette remarque. Sur le coup, j'avais juste voulu lui faire remarquer que ses vêtements ne lui allait pas du tout. Ils étaient tellement grands et larges qu'ils lui donnaient l'air d'un bonhomme Michelin dégonflé.
Mais qui suis-je pour la juger?
Cela me mis en colère contre moi-même jusqu'à la fin de la journée. C'était donc de cela qu'elle parlait lorsqu'elle avait affirmé que je lui faisais des remarques désobligeantes.
Entend-t-elle ce genre de phrase quotidiennement? Si oui, comment fait-elle pour continuer de sourire sans craquer?
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My Red
RomanceÀ vingt-six ans, Joyce décide de déménager à Paris afin de vivre de sa passion pour les livres. Mais lorsqu'elle arrive à la maison d'édition Dugas dans laquelle elle est censée travailler, Joyce reçoit un accueil glacial de la part du chef éditoria...