41. L'Ours d'Estanie

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Oldric.






Oldric ne fut convoqué qu’en début d’après-midi. Quand il sortit de sa cellule, on lui donna une spathe, une épée large à deux mains plus longue qu'un glaive ordinaire, mais aucune armure. Des esclaves enlevaient les restes d'un char et ratissaient le sable. Des perdrix rôties étaient distribuées dans la foule. La plupart de ceux qui regardaient étaient drogués par la chaleur, le vin et la nourriture offerts tout au long de la journée.

Les cheveux solidement noués en une paire de nattes, Oldric se débarrassa de la peau d’ours, et s’avança, torse-nu, vêtu d’une jupe de cuir et de sandales cloutées. Le Dusétien qu'il allait combattre arborait un insigne de poisson sur son heaume. Des huées accueillirent le barbare alors qu’il marchait, et des os de perdrix lui furent jetés. Les ignorant, il se tint à côté de l’insulaire et fit face à l’empereur, levant son arme en signe de salut. L'affrontement pouvait enfin commencer.

Les combattants se déplaçaient l’un autour de l’autre, à la recherche d’une ouverture. Le Dusétien, un costaud gaillard, s’élança le premier. Il privilégia son bras droit et utilisa son gabarit pour éperonner Oldric, qui bloqua l’estocade. Le barbare esquiva un second assaut de l’insulaire avant de lever le poing, faisant choir le heaume de son adversaire. La fraction de seconde d’avantage suffit pour enfoncer son épée. L’homme tomba à genoux. Hissant la tête avec lenteur, le blessé s’écroula à la renverse. Son coude tenta de le maintenir au-dessus du sol pendant quelques instants avant l’expiration du dernier souffle.

Oldric recula, les tympans assourdis par les sifflets de frustration de la foule. Les Égéens se sentaient floués par la brièveté du combat.

Retirant son arme du corps de son opposant, le barbare la brandit dans les airs et lança son cri de guerre à Ingvar.

Ses pas le menèrent instinctivement vers la grande exèdre.

— J’ai tué dix de vos légionnaires avant d’être capturé ! aboya-t-il à l’empereur et aux nobles. Il en a fallu quatre pour me maintenir au sol et m’enchaîner !

Son épée pointa vers les gradins.

— Le plus faible des Estaniens vaut une légion d’Égéens sans tripes !

Étonnamment, la foule rugit d’approbation. Des éclats de rires s’élevèrent, mêlés à des encouragements.

— L’Ours ! brailla une rangée de spectateurs. L'Ours d'Estanie !

— Donnez-lui Céros ! lança un officier entouré des membres de son régiment.

Oldric dirigea la spathe droit sur lui.

— Lâche ! Descends toi-même ! Ou est-ce de l’eau qui coule dans tes veines, à la place du sang ?

Le légionnaire commença à se frayer un chemin le long de l’allée, mais des mains le repoussèrent.

— Tes hommes craignent pour ta vie ! se moqua le barbare.

Deux autres se levèrent.

— Céros ! Céros !

Plusieurs personnes répétèrent en chœur le nom du champion, tandis que tout le monde attendait avec impatience que les portes s'ouvrent pour révéler le héros. Cependant, ce fut un jeune officier qui s'élança dans l'arène et réclama une armure et un glaive.

— Pour l’honneur d’Égée et de ceux qui sont morts à la frontière estanienne ! cria-t-il en avançant sur le sable à la rencontre d’Oldric.

Les spectateurs retinrent leur souffle alors que les deux combattants s'affrontaient avec une fureur inégalée. Les épées s'entrechoquaient violemment, créant des étincelles dans l'air. Chaque coup porté était puissant et précis, témoignant de l'habileté des deux adversaires. Oldric esquiva une charge et enfonça son épaule dans la poitrine de l’Égéen, ce qui le projeta en arrière. D’un geste rapide, il poussa son pied dans l’abdomen du légionnaire, qui parvint tout de même à rouler sur le côté et à se relever.

Oldric ne vit pas la lame qui jaillit en contre-attaque et ouvrit une entaille de six pouces sur son thorax. Glissant dans la mare de sang à l’endroit où le Dusétien était tombé, le barbare s’effondra.

La plèbe hurla lorsque son favori bondit puis se posa à califourchon sur son adversaire. L’acier se leva pour le coup fatal, en même temps que le poing d’Oldric, qui atterrit entre les jambes du soldat. La douleur le fit ainsi basculer. Libéré, l’Estanien se remit debout, puis balança son épée de toutes ses forces, coupant à travers la plate qui protégeait le cou du légionnaire.

Le corps sans tête s’affaissa dans la poussière et musela l’assistance.

Les poumons affamés d’air, Oldric leva sa lame ensanglantée pour défier le régiment de l’officier. Les gradins se soulevèrent à nouveau d’excitation. Hélas, l’Empereur n’allait certainement pas accepter de perdre un membre supplémentaire de son armée dans l’arène, aussi, plus aucun Égéen ne descendit.

Kratheus fit un geste, et un rétiaire avec son filet s’avança.

Oldric savait ce qu’on attendait de lui : qu’il joue le rôle du « poisson » et qu’il échappe à l’homme au filet. Il savait aussi que son vis-à-vis le dominait en termes d'énergie. Le rets était bordé de petits poids métalliques afin qu’il s’ouvre en un large cercle une fois lancé. Si le piège se refermait, les chances de s’en sortir étaient infimes.

Les deux premiers combats l’avaient déjà fatigué, alors Oldric ne bougea pas.

— Je ne te cherche pas, chanta le rétiaire, je cherche un poisson !

Oldric tint bon, attendant que le pêcheur vienne à lui. Arrogant, l’homme au filet se moqua, faisant tournoyer son rets au-dessus de sa tête.

— Pleutre ! hurla la cohue.

— Poule mouillée ! ricanèrent les légionnaires.

Oldric les ignora. L’Estanien n’avait pas l’intention de s’épuiser à courir comme un idiot. Patiemment, il attendait sa chance.

Le rétiaire s’exhiba dans des mouvements fantaisistes. Il lança le long filet vers les pieds de sa proie, avec l’intention de l’emmêler, mais le poisson recula d’un bond.

— Pourquoi t’enfuis-tu ? se moqua le pêcheur, balançant son arme d’avant en arrière pendant qu’il avançait.

Tout à coup, le rets se déploya. Les sens en alerte, Oldric le saisit, bloqua la traction adverse, puis ramena son genou dans l’estomac de son opposant. Il enroula le filet autour de la tête de l’homme, le força à s’agenouiller, plongea l’extrémité de sa lame dans la nuque, et ce fut fini.

Le peuple était de nouveau debout, les paumes rougies par les acclamations, les voix rauques. La poitrine d’Oldric se soulevait et s’abaissait avec peine. Ses muscles tremblaient d’épuisement. À genoux, il secoua la tête dans une vaine tentative d’éclaircir sa vision qui se troublait au fur et à mesure qu’il perdait du sang.

Kratheus hocha la tête, et un autre homme surgit du sable.

Le monomaque portait un petit bouclier, un sabre court à lame recourbée, ainsi qu'un heaume percé de trous, dont le cimier en pointe surmonté de plumes bleus et or attestait de son statut de champion.

Céros.

Oldric resserra sa prise sur son épée. D'un geste lent, il se leva, prêt pour le combat, conscient que cette fois-ci, il allait perdre la vie.

Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant