55. L'Orage silencieux

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Kallian.





Kallian entraîna Julia hors de la résidence en la tirant par le poignet. Elle courait presque pour suivre la cadence de son oncle. Il la déposa dans la litière couverte qui les attendait à l'extérieur, gardée par Oras sur sa monture. Quatre esclaves soulevèrent les barres de soutien sur leurs épaules avant d'entamer le chemin du retour.

— Tu es pire que Père, bougonna Julia, fusillant son oncle du regard avant de fixer le paysage à travers les fines tentures. Je n'ai jamais été aussi embarrassée de ma vie !

— Tu survivras, rétorqua Kallian. Je t'interdis de revoir cette femme !

Il connaissait suffisamment Julia pour savoir que l'interdiction produirait l'effet inverse, mais rien ne coûtait d'essayer.

— J'espère que tu concoctes une bonne histoire à raconter à Ikarus et Bérène, à moins que tu ne veuilles passer le reste de ta période de veuvage enfermée dans ta chambre, avec un soldat à la porte. De préférence l'un des légionnaires de Kastor.

Julia croisa les bras, enragée.

— Je pensais que tu étais de mon côté !

— Je le suis, mais tu sembles vouloir anéantir toutes les concessions de ton père avec tes bêtises ! Tais-toi et commence à réfléchir à ce que tu vas lui dire lorsque nous rentrerons.

— Comment savais-tu où me trouver ?

Ses iris s'illuminèrent à l'instant où la question fut prononcée.

— Amarys !

— Bénis les dieux d'avoir une esclave qui se préoccupe autant de ton bien-être. Elle a pris le risque de traverser la moitié de la ville, toute seule, parce qu'elle veut te protéger. Amarys sait aussi bien que moi ce qui se passera si on te découvre.

Julia releva la tête.

— Elle n'avait qu'à dire que je suis allée prier au temple d'Ops en compagnie d'Olympias.

— Exactement ce qu'elle a relaté. Le temple d'Ops.

Il éclata d'un rire sarcastique.

— Tu dois prendre Ikarus pour le dernier des idiots si tu penses qu'il gobera cette faribole. Tout Aetherna sait que ta cousine volage mourrait avant de vénérer une déesse du foyer et du mariage !

— Quoi qu'il en soit, Olympias n'est plus mon amie.

— Que veux-tu dire ?

Julia haussa les épaules.

— Juste ça. J'en ai assez qu'elle me prenne toujours de haut et qu'elle se donne des airs. Elle m'a abandonnée chez Shiva, mais Shiva est bien plus intéressante.

— Tu apprécies ses idées folles ?

— J'apprécie l'idée d'avoir le contrôle de ma propre vie.

— Il est peu probable que cela arrive de sitôt. À moins que nous puissions te faire rentrer dans le palais sans être vus.

Ce qui ne se produisit pas. Bérène les attendait patiemment dans le hall d'entrée.

— Où étais-tu, Julia ?

Julia se lança dans son récit sur le culte d'Ops. Elle ajouta ensuite qu'elle s'était rendue en ville, en quête d'une amulette de guérison pour son père. Surprenant Kallian, elle sortit un pendentif en cornaline d'une pochette en cuir.

— Le marchand m'a assurée de ses vertus, commenta la petite princesse.

Elle remit l'objet à sa mère.

— Peut-être que si Père le portait, il se sentirait mieux.

Bérène soupesa le cristal pendant un long moment. Le bijou provenait d'une pochette remplie d'autres pendentifs que Julia avait achetés. Un pot-de-vin, donc, plus qu'un cadeau, ou une pensée après coup.

La belle-sœur de Kallian exhala un soupir.

— Donne ceci à ton père lorsque s'achèvera ton veuvage. S'il le reçoit maintenant, il voudra savoir où et quand tu l'as obtenu.

Julia serra l'amulette dans son poing.

— Tu ne me crois pas, n'est-ce pas ? Ma propre mère pense le pire de moi ! s'écria-t-elle, pleine de colère et d'auto-apitoiement.

Elle balança le pendentif au sol, s'attendant à ce que sa génitrice proteste. Lorsqu'elle ne le fit pas, des larmes jaillirent des yeux de Julia. Elle releva la tête et vit la déception sur le visage de Bérène . La culpabilité la fit rougir, mais la rébellion l'entêta.

— Puis-je me rendre dans mes appartements, ou dois-je également demander votre permission pour le faire ? cracha l'adolescente.

— Tu peux y aller, autorisa sa mère d'une voix calme.

Julia traversa la pièce d'un pas déterminé avant de disparaître dans les escaliers.

— Se trouvait-elle réellement au temple pour prier ? demanda Bérène à Kallian, avant de secouer la tête. Peu importe. Je ne veux pas te mettre dans une position où tu devrais mentir pour elle.

Kallian se questionna sur l'origine du tempérament fougueux de Julia, si différent de sa pacifique mère. Une partie de lui en reconnaissait la responsabilité. Tous ces moments passés ensemble, jeux tumultueux et aventures audacieuses, laissaient une marque indélébile dans l'esprit de celle qui se rapprochait plus d'une sœur cadette. Un souvenir lui revint insidieusement, celui de ces journées où deux gamins s'amusaient à construire des barrages en pierre à l'amont du fleuve Aether.

Julia avait perdu deux frères aînés; aussi, malgré leurs six années d'écart, Kallian avait aisément comblé le vide laissé. Il l'avait encouragé à prendre des risques et à suivre ses passions. A présent, en la voyant devenir une jeune femme au caractère explosif, Kallian se mit à douter des bienfaits de son influence sur sa nièce.

Les paroles de sa belle-sœur le sortirent de sa réflexion.

— Ikarus souhaite te parler d'une affaire urgente. Tu devrais aller le voir.

— Je viens d'apprendre en effet que le fils de l'Archonte a perdu sa femme, Éos.

— La jeune Éos ?

La morosité de la Princesse fit naître un léger sentiment de culpabilité chez Kallian. Il remarqua que sa tenue était négligée, ses cheveux flamboyants en désordre, soumis aux courants d'air. Elle se déplaça à travers la pièce avant de s'effondrer sur une cathèdre.

— Une tragédie, sans aucun doute, mais il ne s'agit pas de la malheureuse. Il s'agit de Kastor.

Le cœur du dernier-né Valérian manqua un battement. Était-il arrivé quelque chose de terrible à Shulam ? Bérène semblait lutter pour trouver ses mots.

— Nous venons de recevoir une missive, finit-elle par articuler. Ton frère Kastor a épousé Dione de Philippos.





 Ton frère Kastor a épousé Dione de Philippos

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Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant