62. Les aigles en prise de bec

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Kallian.








La joie du retour au bercail, les accords fructueux conclus avec les marchands, la douleur des longues journées à cheval, la poussière de la route fermement agrippée sur son manteau violine-et-argent... Tout cela disparut dès que Kallian franchit les portes d'Aetherna.

À l'intérieur des remparts, des archers déambulaient sur les chemins de ronde, certains vêtus de la cape bleue de l'armée impériale, d'autres du brun des licteurs. Alors que Kallian traversait les rues au petit trot, les poulets s'enfuirent devant les sabots de son étalon, les moutons bêlèrent, les passants le regardèrent d'un œil mécontent. Une autre ligne de licteurs passa, armés jusqu'aux dents : glaives, bâtons cloutés, haches... Il repéra ensuite plusieurs individus barbus vêtus de tuniques sales et miteuses, arborant sur le front un mélange de sang et de suie.

Encore ces maudits prêtres vagabonds. Pourquoi Kratheus ne s'en débarrasse-t-il pas ?

Il galopa presque pour arriver au palais d'Ikarus. Sa belle-sœur Bérène l'accueillit avec joie, puis le conduisit dans la grande galerie de colonnades où son frère s'occupait à griffonner un parchemin.

Le Vieux prince semblait encore plus amaigri depuis la dernière fois. Il portait un épais manteau de laine malgré la chaleur qui réapparaissait, et, lui, qui d'habitude préférait rester imberbe, laissait un chaume grisâtre lui dévorer les joues. Ses rares cheveux autour des oreilles avaient viré au blanc, ses iris bleu nuit, presque au noir.

— J'ai croisé le Conseiller Antigonos sur la route, dit Kallian en s'installant sur la cathèdre en face de son frère.

— Et il t'a appris que Julia s'est mariée, compléta Ikarus sans lever les yeux.

Kallian empoigna le pichet de verre qui se trouvait sur la table et se servit une coupe de vin. Un serf entra dans la pièce, ses pas à peine audibles sur les dalles de gypses, un plateau de fruits mûrs dans ses mains. Avec une révérence, il posa le plateau sur la table avant de se retirer aussi silencieusement qu'il était entré.

— Quand est-ce que la cérémonie a eu lieu ? Pourquoi n'ai-je reçu aucune lettre ?

Le stylet du vieux prince pointa en direction de figues coupées en tranches.

— La cérémonie a eu lieu il y a une quinzaine et demie. Mange quelque chose, avant que ta belle-sœur ne vienne me réprimander de t'avoir affamé.

— Que sais-tu de cet homme ? demanda Kallian, désintéressé par la nourriture.

— Il est le fils du feu Général Orphéos Maximilian et de dame Lygia de la maison Theodoros, répondit l'aîné, le nez replongé dans ses écrits. Tu connais les Theodoros ? Ils faisaient du commerce à la frontière nord et sur les îles, avant qu'un naufrage ne décime presque toute leur famille. Ostorios a suivi les traces de sa mère.

— N'importe qui peut obtenir ces informations au coin d'une rue. Que sais-tu de lui ? insista le prince cadet.

— Mes espions n'ont pas découvert grand-chose, si c'est ce que tu insinues.

— Et malgré cela, tu as quand même permis à Julia de l'épouser ?

Avec sérénité, la plume continuait de danser sur la toile blême du papier.

— Nous avons enquêté sur Ostorios autant que possible. Nous l'avons invité à plusieurs reprises et l'avons trouvé intelligent, charmant, éduqué, issu d'une famille respectable. Ta nièce est amoureuse de lui et il semble l'être aussi.

Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant