78. L'oiseau de mauvaise augure

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Oldric.


Les festivités du début de l'été s'accompagnaient d'une formidable liesse à Aetherna. Les oracles jetaient des paquets de joncs qui ressemblaient à des hommes pieds et poings liés au fleuve Aether. Les réjouissances se succédaient coup sur coup. L'artère principale de la ville, la Voie Sacrée, accueillait les courses des jeunes aristocrates nus, frappant les passants à l'aide de bandes de peaux de chèvre lors d'un rite faisant allusion à la fertilité. De l'autre côté de la cité, on honorait Liberos, fils de Calanthe, représenté par un bellâtre à l'aspect androgyne, conduisant un char tiré par des léopards venus des contrées du lointain Orient. Les garçons de seize ans revêtaient officiellement la tunique de virilité et se détachaient de l'autorité parentale.

En prime, des jeux devaient se dérouler sept jours durant. Le premier jour débuta avec une immense procession en l'honneur de Ops, déesse du foyer et du mariage, mère de la fertilité. Le second jour fut consacré à Céréa, divinité de l'agriculture. Le troisième jour, Oldric tua sa centième victime au milieu de ses admirateurs qui criaient son nom et lui balançaient des guirlandes de fleurs.

De retour à la caserne, un nuage noir se posta au-dessus de la tête du champion pour ne plus s'y déloger. L'excitation de l'arène avait disparu. Le feu de son sang se changeait en glace. Dans le silence des cuisines, son esprit débarrassé des instincts primaires, il devint morose et amer. L'un des licteurs qui constituait son escorte entra, lui déposa une cruche de vin et un gobelet.

- Serapion te verra combattre à la cérémonie de clôture, dit le soldat en tendant le gobelet à Oldric.

Le monomaque s'allongea sur le banc, feignit une pose apparemment détendue qui ne cachait pas sa tension. Au contraire, la salle en crépitait.

- Qui est ce Serapion, pour que je sois impressionné ? Et où est Bammon ? demanda-t-il d'un ton sec.

Il s'autorisa une gorgée de vin, ses yeux bleus brûlants, ses jointures blanches.

- Un Ipathe, détailla le licteur. Esclave affranchi, aujourd'hui négociant et chercheur de talents. Ton nouvel instructeur.

Oldric se redressa, des sueurs froides lui picotant soudainement le dos. Si l'Égéen le remarqua, il n'y prêta aucune attention, se contentant de se servir un peu de gnôle.

- Je dois admettre que je t'admire, barbare. Derrière tes airs de bête sauvage, se cache encore un attachement féroce à ta terre natale.

Un rictus déforma les lèvres du reître.

- C'est ce qui finira par causer ta perte.

- Où est Bammon ? insista l'Estanien, sentant le vin se transformer en bile au fond de son estomac.

Le garde balaya l'air de son bras. Il possédait la figure étroite et les traits d'un renard, et la bouche si large que son sourire lui frôlait les oreilles. Quelques mèches de cheveux bruns flottaient sur le front.

- Oublie le Xher. Concentre-toi plutôt sur ton prochain adversaire. Tu inaugureras les lices face à un captif.

Inaugurer ? Je suis champion. Normalement, je devrais me battre en dernière position.

La recommandation amplifia le vide dans la pièce. Le type s'envoya une seconde lampée, observant attentivement la perplexité qui rongeait la mine de l'ours. Oldric avait la gorge sèche.

- Pourquoi l'Empereur me ferait-il affronter un captif, sachant que j'aurai l'avantage ?

- Ne sous-estime pas ton opposant. Ce n'est pas toujours l'entraînement, ni la force brute, ni l'arme en son poing qui donne l'avantage à un homme. Tout homme a une faiblesse.

À cet instant, rien ne le démangea plus que de lui prouver que la force brute lui aurait donné l'avantage, là, s'il décidait de lui éclater le crâne contre la table en tek. Cependant, un regard sur ses six compères postés à l'extérieur le dissuada de commettre une bêtise.

- Et quelle est ma faiblesse, à moi ?

Le manteau brun le fixa par-delà le bord de sa coupe.

Hé bien ? Où se situe mon point faible ? Incapable de me répondre à présent ?

L'Estanien fronça les sourcils. Ses paumes étaient moites de sueur. Il les essuya sur ses chausses. Son cerveau réclamait à cor et à cri son instructeur, tel un bambin délaissé par son père.

- Te souviens-tu du seigneur Patrocle ? s'enquit le licteur au bout d'une longue minute. Le jeune nobliau que tu as failli éventrer les premières semaines de ton séjour ici ?Il n'a pas oublié son humiliation et l'a colporté jusqu'aux tympans du prince héritier Damianos. Ils pensent avoir trouvé une manière amusante de t'abattre.

- Amusante ?

Oldric nageait en pleine confusion. Ici, à la caserne, l'unique personne qui frôlait le qualificatif d'ami était son formateur. Maintenant, un égéen dont il ignorait le nom lui prodiguait des indices sur le combat à venir. Ces non-dits indéchiffrables l'étouffaient.

- Rappelle-toi que la réussite de Son Altesse réside à la frontière estanienne, déclara le garde.

Le serf se raidit de mépris.

- Nous ne sommes pas vaincus. La rébellion vivra aussi longtemps qu'un seul Estanien respirera.

- Un seul doigt ne lave pas tout un visage, et l'unification que vous avez eue entre vos tribus a été de courte durée, riposta l'envahisseur.

- Nous nous relèverons bientôt. Ma mère a prédit qu'un vent se prépare à souffler sur l'Empire et à le détruire. Il viendra du nord, du sud, de l'est et de l'ouest, de l'Amont et de l'Aval. Vos citoyens le croient autant, certains affirment qu'une tempête se lèvera parmi...

Il se tut, réalisant soudain son excès de bavardage. Étrangement, l'Égéen ne sembla pas s'en offusquer. Il s'assit en revanche à ses côtés, posa ses deux mains croisées à plat sur la table.

- Passe la soirée à prier le dieu en qui tu crois. Demande que la sagesse prévale.

Le ton donnait l'impression d'un certain respect.

- Tu rêves de liberté barbare, mais la liberté peut avoir un prix plus élevé que celui que tu es prêt à payer.

Sur ces mots, le soldat vida sa coupe d'une traite, puis s'en alla.

Sur ces mots, le soldat vida sa coupe d'une traite, puis s'en alla

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