77.Le jeu de la colombe

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Kallian.




En un clin d'œil, la résidence Maximilian embrassa cuirasses, heaumes et jambières, manteaux bleus et bruns qui pendaient au bas des dos. Ils étaient une dizaine en rangée, à pied, bloquant l'entrée, glaives et piques à pointe de fer au poing. La ligne s'ouvrit devant le fidèle étalon noir, son cavalier gonflé de rage. Il était temps d'expérimenter les enseignements des maîtres d'armes impériaux. Il était temps de mettre Ostorios aux fers.

Deux jours plus tôt, la domestique estanienne revenait en compagnie d'Amarys installée à l'arrière de sa carriole. Agacée par les préoccupations qui le tenaillaient, Kallian tira la Shulamite sans ménagement afin de la questionner sur l'esbroufeur, histoire de déverser son fiel quelque part. Le geste arracha à la serve un cri de douleur. Après quoi, de façon inattendue, elle s'écroula. Surpris, le prince la rattrapa rapidement avant que son front ne heurte les pavés.

— Amarys, avait-il appelé, bouleversé.

Pas la moindre réaction n'émanait de la malheureuse. Il se dépêcha de l'emporter à l'intérieur de ses appartements, inquiet de son évanouissement subit, en colère contre sa propre personne à cause de son action irréfléchie. La grande perche et Enoch le dévisageaient, ébahis.

— Convoque l'allopathe de Bérène, ordonna-t-il à son intendant. Toi, la blonde, apporte du vin chaud, et vite !

Tandis que Kallian l'allongeait sur un divan, il remarqua de minuscules taches vermeilles sur sa tunique. En la déplaçant doucement, des rayures écarlates se révélèrent sur l'échine. Son Altesse poussa un juron.

Du cou à la taille, il déchira le vêtement, découvrit le dos nu, se mit à trembler. Comment une fille aussi frêle avait pu survivre à une raclée pareille ? Pour quelle raison l'avait-on flagellée ainsi ? Il considéra les zébrures qui entaillaient la chair. Une douzaine de coups au moins, et nullement légers. Julia, même au sommet de sa fureur, ne pourrait jamais démontrer une telle violence. Ce ne pouvait être que son idiot d'époux.

Sa nièce les accueillit habillée d'une robe de laine chaude qui la recouvrait des épaules aux chevilles. Un filet serti de rubis emprisonnait sa chevelure flamboyante. De petites feuilles de vigne brodées en fil rouge décoraient le col et les vastes manches, adoucissant la rigueur de sa tenue.

— Mon oncle, pourquoi ce raffut ?

— Où est Maximilian ? Qu'il se montre. Ordre de son prince.

— Pardon ? Quel en est le motif ?

— Des actes répréhensibles que je ne mentionnerai pas ici.

Julia fronça les sourcils.

— C'est absurde, protesta-t-elle. Ostorios n'a rien fait de tel ! Vous rendez-vous compte de votre attitude ?

— Laisse-nous passer, Julia, sinon je réduirais cette maison en poussière.

Le choc la fit reculer d'un pas. Le cadet Valérian détailla ses vêtements, remonta jusqu'à ses traits éreintés, son nez contusionné d'une marque rosâtre enfoui sous une averse de maquillage. Ses mains tremblaient légèrement, malgré le calme qu'elle s'efforçait de garder.

— S'il te plaît, évitons le tapage. Je vais te conduire à mon amour, mais, de grâce, éloigne ces soldats, ils effraient mes esclaves !

Un silence pesant s'abattit sur le perron. Au bout d'un moment, l'oncle soupira, intima aux gardes de rester en place, suivit la maîtresse des lieux.

— Le bleu te va à merveille, complimenta sa nièce en une tentative maladroite d'apaiser son humeur.

— C'est ce qu'on m'a dit, répliqua-t-il d'un ton glacial.

Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant