44. Paranoïa

68 24 9
                                    

Rys


L'intendant Persis s'était immédiatement chargé d'annoncer la nouvelle du décès à Ikarus Valérian et à Dione. Amarys savait qu’il fallait organiser des funérailles, mais Julia, la seule à détenir l’autorité, était incapable de prendre des décisions dans son état actuel. Depuis deux jours, le corps lavé et enveloppé de Nikanor reposait en décomposition dans ses appartements.

Stupéfaite et impuissante, Amarys contemplait le chaos au sein de l'autrefois prestigieuse demeure. L’intendant pleurait son maître comme un fils pleure la perte d’un père, tous les esclaves se lamentaient, les licteurs restaient silencieux et sinistres. Le peuple s’était rassemblé autour des portes du palais, exigeant de voir une dernière fois leur seigneur bien-aimé.

L’espace d’un instant, la serve avait détesté l'épouse rebelle, puis la honte l’avait rapidement envahie. Elle avait manqué à son devoir. Elle aurait dû empêcher Julia de quitter le palais. Elle aurait dû la poursuivre.

Julia pensait que les esclaves la blâmaient, et à raison. Dans une certaine mesure, ils blâmaient aussi Amarys, car elle servait Julia et lui était totalement loyale. Certes, elle avait bien assisté Nikanor, passant des heures à l’aider dans ses études, elle avait réussi à gagner leur affection, mais tout ceci ne parvenait pas à apaiser les suspiscions.

Les délires de Julia étaient inspirés par le chagrin et la culpabilité, et son hystérie prenait la forme de craintes irrationnelles selon lesquelles les esclaves voulaient sa mort. Elle refusait de quitter sa chambre, ne mangeait ni ne dormait.

— Je n’aurais jamais dû l’épouser, piallait Julia, pâle et désemparée. J’aurais dû refuser, quoi qu’en dise Père. Le mariage a été un désastre dès le début. Six mois de désastre ! Nikanor n’était pas heureux. Je n’étais pas la femme qu’il voulait. Il voulait quelqu’un comme sa première femme, qui se contentait d’étudier avec lui des parchemins ennuyeux !

Et elle se noyait dans ses sanglots.

—Ce n’est pas ma faute s’il est mort ! Je ne voulais pas qu’il s’en prenne à moi !

Ses larmes se transformaient en flots de rage.

—C’est la faute de Père ! S’il n’avait pas insisté pour que j’épouse Nikanor, rien de tout cela ne serait arrivé !

Amarys faisait de son mieux pour calmer sa maîtresse et lui faire entendre raison, en vain. La petite princesse était persuadée que l’un des esclaves de cuisine finirait par l’empoisonner.

Lorsqu’elle s’endormait enfin, elle se réveillait quelques minutes après, en sursaut, terrorisée par des cauchemars. Les élans d’imagination dont elle faisait preuve devenaient de plus en plus inquiétants.

—Personne ne vous veut du mal, ma princesse, s'évertuait à répéter Rys. La maisonnée s’inquiète pour vous.

Certes, les esclaves étaient inquiets ; ils avaient entendu certaines des accusations folles et infondées de Julia, selon lesquelles ils voulaient la tuer. Si l’un des Valérian entendait ces allégations et les croyait, les serfs risquaient tous d’être exécutés.

Le vieux prince Ikarus ne vint pas. Il avait embarqué pour son île natale Dusétia peu avant l’accident de Nikanor. La missive ne lui parviendrait qu'à son débarqument sur la terre ferme. Bérène arriva avec son beau-frère Kallian dans l’après-midi du troisième jour. Catia accourut et frappa à la porte verrouillée des appartements de Julia, annonçant leur arrivée.

— N’ouvre pas la porte ! intima Julia à Rys, les yeux exorbités par le manque de sommeil. C’est un piège !

— Julia, dit Bérène quelques minutes plus tard. Juliatheia, laisse-moi entrer, ma chérie.

Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant