67. Ce qui est perdu

65 20 4
                                    

Kallian.



La frousse de l'esclave blonde, lorsqu'elle vint frapper aux portes de la résidence, suffit à troubler Kallian et à le convaincre de la suivre. Différente des autres greluches que possédait Ostorios, derrière ses allures de grande perche dégingandée se cachait un semblant de bon sens. Au cours du trajet, le cadet Valerian ne put s'empêcher de remarquer ses pattes d'ours parsemées de taches de son, tandis que sa charrette s'efforçait de talonner vaille que vaille le cheval de Son Altesse.


Le premier détail qui le saisit une fois chez les Maximilian fut le silence, si épais qu'on pouvait le couper au couteau. Les œillades fuyantes et les raides courbettes à son intention alourdissaient l'atmosphère. Il traversa le couloir, où les ombres menaçaient d'engloutir les lumières vacillantes le long de ce corridor aussi vaste qu'un labyrinthe dont on ne trouverait jamais la sortie.


À l'intérieur de sa chambre, Julia siégeait sur le lit.


- Qu'y a-t-il, petite nièce ? demanda le prince en avançant.


La vue de son oncle la fit sourire. Un sourire fade, terne, sans joie. Un vide perceptible attestait qu'on lui avait retiré quelque chose.


Avait-elle entendu les rumeurs - encore à vérifier - sur les infidélités de son mari ? Ou s'agissait-il du récent rejet de sa candidature au Conseil, bien qu'il ait organisé des jeux convenables ? Kratheus avait été si imprévisible à cet égard, au bonheur de son petit frère.


- J'ai perdu le bébé ce matin, informa dame Maximilian, la tête tournée en direction de la fenêtre et les couvertures tendues sous ses phalanges.


Une servante se tenait à proximité. Dodue, les cheveux noirs et gras, la carnation olivâtre marquée de rayures rouges dues au fouet. Pas Amarys.


Lentement, le cadet Valerian ramena le menton de l'affligée en face de lui.


- Tu as commis un avortement, je me trompe ?


Au vu de la flopée d'allopathes mandatés par Bérène, de l'état de santé de Julia, qui ne montrait aucun signe suspect, et de sa détresse croissante au fur à mesure que la grossesse avançait, c'était la seule hypothèse plausible.


- Ostorios ne me désirait plus, geignit un timbre qui parut surgir d'outre-tombe.


- Est-ce qu'il t'a dit de faire ça ?


- Non... Mais je n'avais pas le choix !


Le prince lui caressa sa joue, traça la courbe délicate de sa mâchoire. Il s'émerveilla de la douceur de sa peau, de ce teint de porcelaine qui reluisait via la lueur des candélabres. Il perçut également le soupçon de rouge qui montait, preuve de l'appréciation de son contact.


- Ça va mieux ?


Julia acquiesça d'un hochement.


- Shiva m'a assuré que cette phase ne durera pas. Que la dépression après coup était normale. Cela passera.


La vipère. J'aurais dû m'en douter.


- Ce n'est pas grave, n'est-ce pas, Kallian ? Il n'y a rien de mal à ce que j'ai fait, n'est-ce pas ?


Le ton mendiait l'approbation. Et Son Altesse ne souhaitait que s'y conformer, soutenir sa décision d'interrompre la grossesse. Pourtant, les mots se bloquaient au fond de sa gorge.


- Chut, petite colombe. Tu n'as rien fait que d'innombrables femmes n'aient fait avant toi. La terre n'en continue pas moins de tourner.


- Ostorios me désirera à nouveau, maintenant. Je le sais.


L'expression de son oncle se crispa. Il comptait aborder le sujet de l'esbroufeur a posteriori. Nul besoin d'accabler son épouse d'ennuis supplémentaires à l'heure actuelle.


Des soupçons de batifolage entre le bellâtre et Olympias circulaient depuis peu. Des commérages, l'on serait tenté de penser, néanmoins Kallian s'employait à démêler le vrai du faux. D'abord, il fallait rassembler des preuves. Ensuite, planifier l'arrestation, attiser les braises de la colère de Kratheus. Puis, suggérer à son aîné une exécution éclatante pour haute trahison, pourquoi pas au milieu de l'arène, tiens. Et peut-être, au passage, confiner la princesse tapin parmi les prêtresses silencieuses de la déesse Tassitha. À l'exemple de leurs divinités, ces religieuses, chargées de purifier les défunts, faisaient vœu de mutisme et de chasteté afin de guider paisiblement les âmes vers les demeures de Zagreus. La solution adaptée à son cas, donc.


- Je vais annoncer la perte de l'enfant à tes parents. Prends le temps de te reposer.


Sa vulnérabilité était trop flagrante. Il suffirait d'un coup d'œil pour que le vieux grincheux perçoive sa culpabilité. S'ensuivraient alors l'interrogatoire, les aveux hystériques et, en fin de compte, le châtiment subséquent à la mise en péril de l'avenir de la lignée Valérian.


Avec toutes ces divisions et suspicions qui rongeaient la famille, inutile d'en rajouter.


- N'aie crainte petite colombe. Personne ne te blâmera.


Le blâme n'en revenait qu'à Maximilian. Persuader sa femme, de façon volontaire ou non, qu'un curetage raviverait son désir, relevait de l'absurdité. L'outrage ne passerait pas, se promit Son Altesse. Le gonze ne perdait rien pour attendre.


- Repose-toi. Je reviendrai te voir demain.


Il l'enlaça, et sa nièce se blottit contre lui comme si sa vie en dépendait.


- Kallian ? appela-t-elle au moment où il se levait. S'il te plaît, essaie de trouver Rys. Shiva l'a renvoyée en vue de...


Le reste s'étouffa au bord des lèvres, ses yeux s'embrouillant instantanément de larmes non versées.


- Elle n'est pas revenue, et je veux écouter l'un de ses psaumes.


Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant