54. Shiva Liviclès

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Kallian.






Dès qu'il pénétra à l'intérieur du repaire du serpent, le prince sentit ses bras se hérisser de poils. L'odeur enivrante du safran, de la cannelle, du clou de girofle et d'autres aromates de grand prix révulsait les narines. Il enjamba les escaliers quatre à quatre, usant de ses épaules pour se frayer sans difficulté un chemin à travers la mer de corps. L'esclave qui l'accompagnait, un castrat à la charpente délicate, le suivait de près.

Au sommet des marches, des serfs dénudés, ornés de chaînes en or scintillantes qui cliquetaient doucement à chaque pas, dansaient avec une souplesse défiant les lois de la pesanteur. Le vin coulait à flots, non pas la piquette des tavernes d'Aetherna, mais les riches crus liquoreux des Îles du Printemps. Les tambours battaient d'une énergie si primitive que le sang se mit à palpiter dans les tempes de Son Altesse.

Quand il franchit la salle de banquet, ses yeux s'écarquillèrent de stupeur, son souffle se bloqua. Les convives paraissaient, eux aussi, ébahis, mais de toute évidence pour une raison différente. Là, au centre, baignée par la lueur des chandeliers, se trouvait Julia, engagée dans une chorégraphie provocante, en compagnie d'un mystérieux jeune homme.

La vue de sa nièce se mouvant avec tant d'abandon et de sensualité lui chauffa les veines. Ses phalanges blanchirent, sa mâchoire se crispa, ses paupières immobiles se fixèrent sur les mains de l'étranger qui parcouraient la peau de Julia de façon possessive et invasive. Les percussions se mirent à battre à la même cadence folle que la poitrine de Kallian. D'un pas décidé, il avança, alors que la foule s'écartait devant lui, comme si elle percevait la tempête en approche.

La voix du prince se détacha de la musique, tranchante et impérieuse.

— Julia !

Son intonation eut l'effet d'interrompre la farandole sur-le-champ. La concernée se retourna, les globes arrondis. Son compagnon, quant à lui, osa afficher un sourire empreint de défi.

— Qui es-tu, toi ? ricana le gars.

Le blondinet -ou châtain, Son Altesse n'en avait cure- arborait un simulacre de moustache, des pupilles grises, un buste surélevé. Il exsudait cet air arrogant et sûr de lui qui plaisait tellement aux jouvencelles. Les poings de Kallian se resserrèrent le long de son corps.

— Je suis son oncle, répondit-il, le timbre menaçant. Et je te suggère de retirer tes pattes d'elle, avant que je ne le fasse moi-même.

Le sourire de l'inconnu s'effaça, sa bravade vacillant face au regard bleu acier. La mine renfrognée, il lâcha Julia, après quoi recula.

Soudain, un éclat moqueur jaillit de nulle part, rappelant au cadet Valerian qui était l'orchestrateur de ce cirque.

Shiva Liviclès trônait sur une cathèdre écarlate, sa complexion mêlant les tons basanés des Xhers aux teintes pâles des Égéens, témoignage de sa double origine. La robe de lin ivoire qui la recouvrait semblait flotter autour de sa silhouette élancée, ce qui accentuait son élégance. Sa sinistre grimace transperça les tréteaux au point d'ensorceler l'ensemble du public.

Le castrat traversa la salle afin de rejoindre la maîtresse des lieux, puis se tint à proximité, en silence, jusqu'à ce que sa présence se remarque.

— Son Altesse Kalliandros souhaite... commença-t-il.

— Je crois que nous savons ce que veut Son Altesse, idiot.

Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant