72. Jamais seule

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Rys.





Les rues d'Aetherna déroutaient encore plus dans l'obscurité, mais la maison à la porte rouge se distingua sans trop de difficulté.

Après avoir frappé une fois, puis trois, la porte s'entrouvrit.

— Votre nom, s'il vous plaît ? demanda une voix féminine dissimulée de l'autre côté.

— Amarys, esclave de Julia Valérian, épouse d'Ostorios Maximilian.

L'entrée s'élargit alors, révélant une Égéenne au visage à demi voilé par un châle.

— Bienvenue. Trophimos prévoyait ton arrivée. Suis-moi.

Le seuil déboucha sur un salon heptagonal, plafonné de traverses, et encadré des fenêtres en bois sculpté. De bois, aussi, un modeste pupitre, entouré de bancs recourbés, occupait l'espace. Une trentaine de personnes de tout âge et de toute classe sociale emplissait le lieu.

Rys repéra le marchand à proximité du marchepied. Il s'approcha, le sourire large, la saisit par les épaules et l'embrassa sur les deux joues.

— Viens t'asseoir près de ma femme et moi, petite sœur.

La masse d'expressions curieuses s'écarta en vue de les laisser passer.

— Eulalia, voici la jeune fille dont je t'ai parlé.

Contrairement à son époux, Eulalia était aussi grande qu'épaisse. Son buste proéminent menaça presque d'étouffer Rys au moment de son étreinte.

— Mes frères et sœurs, annonça Trophimos à l'assemblée, il s'agit là d'Amarys.

D'autres la saluèrent : Geta, Basemath la belle Xher, Fulvia, dame Callista la cliente de ce matin, Sinkristor le vieux légionnaire à la retraite, Leone, Hicham l'importateur d'épices, Périclès l'aristocrate, Ardgal le Boréen... Et même une esclave shulamite d'une vingtaine d'années, du nom de Nissah. Nissah avait également été capturée lors du siège de Tel-Sayaddin, y avait perdu son mari et son nouveau-né, et maintenant servait de nourrice à un couple de généalogistes impériaux.

Rys se sentit enveloppée d'affection en écoutant leurs histoires. Tous semblaient vouloir échanger un brin de vie afin de la fortifier, de lui faire comprendre qu'elle n'était pas seule. Ne l'avait jamais été.

Sinkristor prit la parole.

— Frères et sœurs, nous disposons de peu de temps. Commençons par chanter des louanges.

Amarys ferma les yeux, laissant la musique la submerger. L'hymne parlait de difficultés, de foi, de délivrance. Loin des vies tourmentées d'Ikarus, Bérène, Kallian et Julia, captifs de leur insatiabilité, la sérénité l'emmaillota.

Un cantique s'avéra familier. Un psaume du roi David souvent interprété chez les Valérian. Les paumes ouvertes, elle entonna à plein poumons, ignorant ses compagnons qui s'immobilisèrent à l'instant, hypnotisés. L'embarras la fit rougir.

— Dieu devait en avoir assez de nos voix rouillées, commenta Fulvia. Sinon, Il ne nous aurait pas bénis d'une sœur qui chante à merveille.

Le constat provoqua l'hilarité générale.

Le vieux légionnaire étendit les bras.

Poussez des cris de joie devant le Seigneur, vous tous, commença-t-il.

Servez le Seigneur avec joie, compléta la salle. Venez allègrement devant Sa présence. Sachez que le Seigneur, c'est Lui qui nous a créés ; nous sommes Son peuple et les brebis de Son pâturage...

Rys répéta en chœur les proses bien connues des Écritures.

Entrez dans Ses portes avec des actions de grâce, et dans Ses parvis avec des louanges. Soyez reconnaissants envers Lui et bénissez Son nom. Car le Seigneur est bon ; Sa miséricorde est éternelle, et Sa vérité dure à toutes les générations.

Un parchemin fut déroulé par Ardgal, le plus ancien.

— Poursuivons notre lecture des mémoires de Mattityahu.

Ce fut la première fois que Rys entendit les mémoires des disciples. Les Fanatiques de Shulam considéraient ces écrits comme une hérésie. Du coup, que de tels textes s'intègrent aux Saintes Écritures, ou soient lus au Grand Temple de Tel-Sayaddin, nul ne l'aurait espéré. La totalité de ce que son père lui avait transmis au sujet du Messie relevait du bouche à oreille.

Le récit de Mattityahu, témoin et compagnon du fils de l'Homme, la fit trembler. Le Sermon sur la montagne l'enivra au point que chaque mot fut ingurgité avidement, au cas où l'occasion ne se représenterait plus.

Passé la lecture, le rouleau fut soigneusement replié, remit à un second ancien. Du pain ainsi qu'une coupe de vin se partageaient ensuite entre les bancs. L'on se répétait tour à tour les propos d'usage :

— Ceci est mon corps... Ceci est mon sang... Prenez et mangez en souvenir de moi...

Une ode à l'amour du libérateur conclut la communion.

Trophimos se leva.

— Y a-t-il de nouveaux croyants aujourd'hui qui souhaiteraient partager leur témoignage ?

Les regards posés derrière son dos lui chauffèrent le front, et sa poitrine s'affola. Le marchand s'inclina.

— Allons, allons, taquina-t-il. Pas besoin de belles paroles. Seulement un mot encourageant.

— Laisse-la tranquille, intervint Eulalia. Nous sommes des inconnus à l'heure actuelle. Tu n'as rien dit pendant une année entière.

— Parce que je souffre de glossophobie ! protesta son conjoint.

La serve essuya ses mains moites sur son manteau. La lueur des cierges faisait miroiter le bois sombre du pupitre, recouvrait d'un halo chaleureux les faciès ici réunis. Prenant une profonde inspiration, ses genoux se redressèrent d'eux-mêmes, ses lèvres s'écartèrent et la Shulamite déclara d'un timbre faible :

— J'accepte de partager mon témoignage.

—	J'accepte de partager mon témoignage

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Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant