68. Son dieu et ses lois infernales

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Kallian.




Tel un nid de guêpes, le péristyle bruissait de bourdonnements. Les esclaves s'étaient regroupés en essaims dans le but évident de colporter le dernier potin. L'un d'eux aperçut le maître approcher, et, aussitôt, ils se dispersèrent, certains se hâtant d'aller chercher de l'eau, d'autres se dépêchant de balayer la poussière invisible du sol.

— Où se trouve la Shulamite ? demanda Kallian à un adolescent qui lustrait les carreaux de la piscine.

Le gamin sembla se liquéfier en face de lui.

— Les jardins, S'Altesse. Rys pas revenue.

Le prince sortit sous les arcades. Devant se discernait les allées serpentines, sinueuse succession de pavés vaguement jaunis par l'éclairage des fenêtres en surplomb. Il avançait d'arbre en arbre, sensible à la rudesse de leur écorce, le feuillage caressant son front.

Au pied d'un prunier, la silhouette parut enfin, recroquevillée sur elle-même, la figure noyée en dessous de ses magnifiques boucles ébène.

— Amarys, appela-t-il.

La concernée ne releva guère la tête.

— Amarys ! Tu m'entends ? Julia a besoin de toi.

Un bruit plaintif surgit d'entre ses genoux. Elle leva les mains par-dessus sa crinière, et Kallian remarqua ses doigts couverts de boue. Il soupira.

— Je suis au courant de ce qui s'est passé.

La vipère l'avait donc chargée d'inhumer le fœtus. De toute la maisonnée, pourquoi diantre ce sac à venin avait-elle désigné la Shulamite pour exécuter la sale besogne ? Que ces deux-là fussent entrées en conflit à ce sujet ne le surprendrait pas.

— C'est fini maintenant. Essaie d'oublier. Julia ira mieux au bout d'un jour ou deux, et son godelureau de mari ne remarquera rien.

Amarys leva alors son chef de manière abrupte. Des sillons striaient la terre qui maculait ses joues, ses cornées se veinaient de rouge, une partie de son visage était violacée et enflée.

Tel un cobra prêt à attaquer, la Shulamite se dressa, exposant sa robe. Une jolie robe de laine orangée qui balayait ses chevilles, agrémentée de fines bretelles en faux fils d'or, maculée de souilles brunâtres sur l'abdomen.

Débarrasse-t-en... Débarrasse-t-en, m'a-t-elle ordonné. Un tout petit enfant enveloppé dans un tissu et jeté au sol comme une ordure. Un enfant...

— N'y pense plus. D'ailleurs, vu le stade d'avancement, cela n'avait aucune importance. Il ne s'agissait que d'un fœtus, pas encore vivant.

Ses doigts chiffonnèrent le vêtement.

— Pas encore vivant, couina-t-elle.

Une sourde fureur l'empourpra, l'espace entre ses sourcils se rétrécit, des veines saillirent sur son front.

Un grognement s'échappa à travers des dents serrées :

C'est Toi qui as formé mes reins, qui m'as tissé dans le ventre de ma mère. Mon corps n'était point caché devant Toi, lorsque j'ai été fait dans un lieu secret, au sein des profondeurs de la terre. Quand je n'étais qu'une masse informe, Tes yeux me voyaient ; et sur Ton livre étaient tous inscrits les jours qui m'étaient destinés, avant qu'aucun d'eux n'existât.

Les cheveux se dressèrent sur la nuque de Kallian. L'image de la prêtresse vagabonde, à Philippos, ressurgit : sa prophétie glaçante, le veau mort au creux de ses bras, le chaos qui consuma la ville par la suite. Il sentit un serpent se tortiller au fond de son estomac.

Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant