5. Honneur et douleur

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Oldric.


Oldric leva la main, signalant à son père qu'une légion égéenne s’avançait dans la clairière. Cachés par la forêt, les guerriers attendaient. Chacun d'entre eux tenait un javelot, la forte hampe munie d'une tête étroite et courte, tranchante comme un rasoir et capable de percer une armure. Il pouvait être lancé avec précision à grande distance ou utilisé dans un combat au corps-à-corps, au grand déplaisir des envahisseurs.

Voyant que le moment était venu, Oldric abattit sa main. Son père lança immédiatement le cri de guerre. Le hurlement s'éleva et se propagea le long de l'horizon tandis que toute la suite chantait, frappant contre leurs boucliers en l’honneur d’Ingvar, le dieu de la guerre. Une centaine d'hommes, issus de toutes les tribus des montagnes, s'étaient unifiés pour repousser l'Empire : Skag, Agnar, Bructères, Peaux-de-lait, et même les belliqueux clans des rivières. Le son horrible et chaotique se répercuta dans la vallée en contrebas comme un rugissement de démons. Souriant, Oldric vit les légionnaires perdre leur rythme. C'est à cet instant que les tribus déferlèrent sur les flancs de la colline pour passer à l'attaque.

Surpris et désorientés par ces cris barbares, les Égéens ne comprirent pas tout suite les ordres de leurs commandants. La plupart des membres de la tribu ne portaient rien d'autre qu'une courte cape protectrice, fixée à l'épaule par une broche de bronze, armés d'un bouclier de fer et de cuir ainsi que de leur pique.

En voyant arriver sur leurs flancs une horde de guerriers féroces presque nus et armés de lances, la légion rompit les rangs juste assez longtemps pour donner aux tribus un avantage dont elles avaient cruellement besoin. Des javelots volèrent. Des légionnaires tombèrent.

Hermun, le père d'Oldric, dirigea la formation en un coin qui entama la charge. Le fils lança son arme en courant. Sa longue lance traversa la gorge d'un porte-étendard et envoya sa bannière bleue s'écraser sur le sol. Un autre Égéen l'attrapa, mais le guerrier bloqua son attaque, le poussa vers le sol avant de lui briser le dos d'un seul coup de ses deux poings. Arrachant la pique du mort, il la planta dans un autre soldat.

La bataille ne durerait pas longtemps. L'effet de surprise n'était qu'un avantage momentané. Dès que les Égéens auraient pris conscience de la situation, les guerriers battraient en retraite. Ils savaient qu'ils n'avaient aucune chance dans une lutte de longue haleine contre les forces hautement entraînées de l'Empire. Au cours des derniers mois, les tribus avaient utilisé la tactique qui fonctionnait le mieux : harceler les flancs de l'armée, frapper rapidement, puis se replier dès que la bataille commençait à prendre de l'ampleur.

La panique initiale de la légion disparut. Les officiers montés se tinrent au milieu de la mêlée, brandissant leurs glaives et criant des ordres. Les rangs se resserrent, l'entraînement et la discipline des Égéens reprirent le dessus.

Oldric vit tomber son frère Yorgen. D'un coup d'épée ramassée au sol, il amputa le bras d'un envahisseur. Lorsqu'il tenta de rejoindre son frère, un autre légionnaire se jeta sur lui. Oldric bloqua les coups les uns après les autres. Il se rua vers l’ennemi avec tout le poids de son corps et l'envoya bousculer trois de ses congénères.

Esquivant brusquement quelque chose dans son dos, le combattant se retourna, faisant descendre et remonter l'épée rapidement, brisant les os en tranchant l'aine et l'abdomen de son assaillant. L'homme hurla et s'écroula avant qu'Oldric ne puisse retirer la lame.

Le légionnaire renversé s'était relevé et s'approchait à nouveau.

Sans épée, le guerrier roula, attrapa la jambe de son assaillant, le faisant tomber. Sautant sur lui, il saisit la tête de l'homme et donna un coup sec, lui brisant la nuque.

Il cherchait à présent le heaume de bronze de son père. Leurs forces diminuaient à mesure que les soldats impériaux se regroupaient et démontraient la destruction organisée qui avait fait leur renommée. Le chef des Agnar, le bras gauche pendant inutilement à son côté, cria à ses hommes de se replier. Les Peaux-de-lait firent de même et battirent en retraite, laissant les Skag, la tribu d'Oldric, derrière. Le jeune homme savait que la prudence exigeait qu’ils se replient dans les bois avec les autres, mais son sang était chaud, sa main encore forte. Il fonça sur deux Égéens en poussant son cri de guerre tandis que les membres restants de la tribu se dirigeaient vers les bois. Finalement, ils se fondirent dans la forêt, laissant les envahisseurs frustrés et mal équipés pour les poursuivre.

Un demi-mille plus haut, Oldric trouva sa belle-sœur Brünn à genoux en train de nettoyer la blessure à l'épaule de son mari. Sa jambe était bien bandée, l'hémorragie stoppée. La sueur coulait sur le visage pâle de Yorgen , qui grimaçait sous les gestes vifs et sûrs de Brünn.

Fadr… dit-il. Il leva légèrement la main, pointant du doigt.

Oldric courut à travers les bois vers l'ouest et tomba sur sa mère, qui tenait son père dans ses bras. L'un des côtés du casque du chef était enfoncé, le bronze doré ensanglanté.

Oldric se mit à genoux.

Le faciès blafard et contorsionné, sa mère s'acharnait sur la plaie béante de l'abdomen nu de son père. Elle pleurait en repoussant les entrailles à l'intérieur et en essayant de refermer la plaie.

— Hermun, supplia-t-elle. Hermun, Hermun…

Oldric saisit les poignets ensanglantés de sa mère, interrompant ses efforts frénétiques.

— Laisse-le.

— Non ! Je…

Modr !

Ses mains se resserrèrent et il la secoua une fois.

— Il est mort. Tu ne peux plus rien faire. Laisse-le chevaucher les étoiles auprès d’Ingvar…

Si facile à dire… Pourtant, au moment même où il prononçait ses mots, sa poitrine se comprimait de douleur.

Modr se calma, la résistance rigide se relâcha. Oldric ferma les yeux fixes de son père et posa ses mains sur son corps immobile.

Ils restèrent un long moment sans bouger. Alors, avec un sanglot, sa mère se pencha en avant et posa son visage rougi sur le torse de son fils.

Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant