OS : Étrangler la fumée

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L'esprit embrumé, Justine n'arrivait même pas à ouvrir les yeux. Ses oreilles écoutaient YKWIM? de Yot Club en boucle. Cela faisait deux jours que la blonde écoutait cette chanson. Car ça faisait deux jours qu'Hortense était partie.

D'habitude, ses poumons étaient bouchés. Mais son cœur s'y était aussi mis. Tout son corps s'était éteint. Le silence qu'elle avait entendu pendant quelques secondes après avoir toqué à la porte d'Hortense la hantait. Elle restait plongée dans un calme éternel.
Elle aurait tout donné pour entendre un son de batterie, même du Renée La Taupe. Mais il n'y avait plus rien. Pas même un éternuement discret en pleine nuit.

«Hey.»

Le silence était si lourd. Mais la vue était encore pire. Justine tira une nouvelle fois sur sa cigarette et cracha lentement la fumée. Elle ferma les yeux en voyant le nuage gris devant elle.
Ce nuage sombre lui rappelait les yeux d'Hortense. Tout ce qui était gris, noir ou rouge la lui rappelait.

«Quel enfer... Je peux même plus profiter d'une clope.»

«It's not like you've ever tried to stay.»

Elle secoua la main devant son nez en pestant. Puis, elle rouvrit les yeux. Elle avait la tête dans le bocal. Tout son appartement était embli de fumée de cigarettes.

«Il faut que je me dépêche d'aérer, sinon, je vais avoir Horty sur le dos...»

Elle resta assise au bord de son lit avant de soupirer en se tapant le front.

«Ah non. C'est vrai.»

Elle finit par se lever pour ouvrir la fenêtre.

Hortense était partie. Sans même retourner voir Justine et s'excuser. Non, rien de rien. Aucun message, aucun appel. Tant mieux, au final. Justine n'y aurait jamais répondu.

«Well, that's how it seems. Hey ! You know what I mean?»

D'un mouvement mécanique de poignet, la blonde essayait de faire sortir la fumée du mieux qu'elle pouvait. C'était complément inutile, car elle continuait de fumer sa cigarette à l'intérieur de son appartement.
Elle ne voulait pas que la fumée s'en aille. Tout était flou autour d'elle. Elle ne pouvait pas voir les photos d'Hortense et elle qui étaient restées accrochées au mur. Si elle laissait partir le nuage gris, elle les reverrait. Et elle pleurerait à nouveau.

«It seems like I care too much. When I'm all alone, oh no.»

La fumée lui piquait les yeux. Il fallait croire qu'elle n'était plus tant habituée à fumer que ça. Ces deux mois (presque) sans tabac lui avaient été bénéfique. Mais elle retombait dedans.
Le diable de la fumée avait raison. Justine se trouvait seule ce jour-là. Car elle n'avait pas suivi la voie qu'Hortense voulait qu'elle emprunte. Encore une fois, la blonde n'était pas rentrée dans le moule et on l'avait abandonnée pour ça.
D'un petit mouvement de poignet, la larme qui commençait à couler le long de sa joue fut essuyée.

«I feel like I care too much. When no one's at home for me.»

Elle s'éloigna de la fenêtre. Pousser sur ses bras pour partir du rebord lui avait demandé un effort herculéen. Justine ne bouffait que la fumée de sa clope, en même temps.

«Je devrai manger.»

Sans la moindre volonté, mais par pur instinct de survie, la blonde partit vers sa cuisine. Elle attrapa un paquet de pâtes, le jeta sur le plan de travail avant de se mettre à chercher une casserole.

«Feel like I'm fallin' out. Well, that's how it seems.»

L'eau bouillait. Justine attendait de pouvoir mettre ses pâtes dedans en tapotant sa cuisse avec son doigt. Et quand l'envie se présentait, elle tirait sur sa cigarette. Elle n'avait pas envie de manger ces pâtes. Il y en avait trop.

«Je me ferai un tupperware.» se dit Justine en haussant les épaules.

«I think that I'm fallin' out. You know what I mean?»

Cette pensée la frustra sur le coup. Ses épaules se tendirent.
Elle avait une vie banale à ce point ? Celle qu'elle aimait venait de l'abandonner et elle se faisait cuire des pâtes ? L'amour de sa vie était partie et elle pensait qu'à faire des restes ? Pourquoi chaque instant de son quotidien paraissait si fade et gris tout d'un coup ?

«It seems like I care too much. When I'm all alone, oh no.»

L'eau débordait de la casserole. Justine ne fit rien. Elle regardait l'eau bouillante tremper sa plaque de cuisson.
Elle voulut prendre une nouvelle taffe de cigarette mais fut forcée de constater qu'elle l'avait déjà finie.

«Putain, sérieux ?»

«She said that I care too much, when no one's at home for me. Ah.»

Justine laissa l'eau bouillante sur le feu et partit se chercher un nouveau paquet de cigarettes. La musique changea. Think of me once in a while, take care de Take Care résonna dans l'appartement, parvenant à se frayer un chemin dans la fumée pour arriver jusqu'aux oreilles de Justine. C'était une musique fade, sans parole. Rien ne rendait cette mélodie joyeuse. Ce n'était qu'un message de tristesse.

Justine ouvrit le tiroir de son bureau. Six paquets de cigarettes attendaient sagement. Cette fois-ci, plus de cigarettes à la rose. Ça coûtait trop cher pour rien, au final.
La graphiste attrapa le premier paquet qui lui tomba sous la main et sortit une clope. Elle tapa plusieurs fois dans ses poches avant de se rendre compte qu'elle avait oublié son briquet à la fenêtre.

«Putain !»

Elle se précipita vers la fenêtre et attrapa violemment son briquet. La pierre roula une fois, deux fois, trois fois, aucune étincelle.
Tout commençait à courir sur les nerfs de Justine. Elle voulait juste fumer une clope. Rien de plus. Pourquoi le monde l'en empêchait ? Qu'est-ce qu'il y avait de mauvais ? Chacun sa merde, non ? Alors pourquoi ce briquet refusait de coopérer ? C'était la seule tâche qu'on lui demandait ! Faire du feu !

«Et toi, pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu fais le fier parce que t'es un briquet ambulant ?» cria Justine à la fenêtre quand le soleil l'éclaira en plus visage.

La blonde observa l'astre plusieurs secondes. Ça piquait les yeux, mais pas plus que la fumée. Elle reporta son attention à son briquet. Une fois de plus, elle fit rouler la pierre.

Rien.
Pas de petit floush pour faire apparaître une flamme.

«Mais putain !»

Folle de rage, la blonde lança son briquet par la fenêtre. Heureusement, il n'y avait personne en dessous.

Elle était essoufflée. C'était pitoyable. Être essoufflée pour si peu ? Pour balancer un briquet ? Justine avait envie de pleurer juste en pensant à cela. Si elle avait vraiment arrêté de fumer, elle aurait pu courir avec Hortense après le tram, ce jour-là. Elle aurait pu monter les escaliers sans s'arrêter le soir où la batteuse et elle s'étaient embrassées. Elle aurait pu passer plus de temps avec Josepha si Horty ne s'était pas mis à jouer de la batterie pour se venger. Elle aurait pu éviter d'avoir une rockeuse énervée à sa porte à cause de l'odeur.

La cigarette avait fait naître sa relation avec Hortense. La cigarette était responsable de son état actuel.

«J'en ai ras le bol, merde !»

La blonde prit sa cigarette neuve et la déchira en deux avant de la lancer par la fenêtre. Des feuilles de tabac s'échappèrent dans les airs. Justine partit vers son bureau et sortit sauvagement chacun des paquets de cigarettes. Tout passait par la fenêtre. Les emballages comme les cylindres.

Elle détruisait chacune des clopes pour les rendre plus pitoyables que des mégots. Elle les jetait, une par une, pour s'assurer de bien faire le deuil du diable de la fumée.
Elle pleurait tout en les balançant hors de son appartement. Si elle n'avait pas fumé, elle aurait pu s'éviter tellement de douleurs. Elle aurait pu éviter cette histoire avec Hortense. Continuer à avoir sa vie qui lui plaisait bien. N'avoir qu'une voisine qui jouait de la batterie. Elle aurait aimé éviter tout ça.

Elle jeta sa dernière cigarette. Les cadavres des rouleaux de tabac recouvraient le trottoir.

C'était la première fois que Justine voyait la fumée des cigarettes partir vers le bas.

Space Song [HortyUnderscore X Baghera Jones Fanfiction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant